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#26 05-08-2023 16:21:03

Yapluka
Membre
Inscription : 23-05-2023

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

J'ai souvent le même sentiment d'incompréhension lorsque je me trouve par hasard immergé dans la foule des personnes venues chercher le dépaysement en un seul et même endroit réputé apporter satisfaction. C'est, je crois, le lot de tous les randonneurs. Nous cherchons la rencontre de gens qui nous ressemblent pour sa rareté autant que sa qualité (valeurs de sincerite, gratuité, ouverture).
Il y a 2 jours j'ai visité le musée Dali à Figueras, et bien sûr la foule de visiteurs était bien présente. Curieusement j'ai eu le même sentiment et je cherchais , parmi la foule des visiteurs occupés à suivre les numéros des salles dans l'ordre chronologique dans le but de ne rien rater de la visite, je cherchais donc ceux qui étaient davantage occupés à s'imprégner de l'art qu'à se prendre eux mêmes en photo devant telle oeuvre bien connue.
Je crois bien que nous ne faisons pas exception et que nous sommes finalement des touristes parmi d'autres. Simplement, comme tous, nous cherchons ceux qui nous ressemblent le plus.
(Édit valeurs)

Dernière modification par Yapluka (05-08-2023 17:05:43)

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#27 06-08-2023 18:55:14

Nayana
Helix pomatia
Lieu : Cote d'Or
Inscription : 05-10-2010

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Bonjour *Samuel. Merci pour ce superbe retour. J'espère que tu continuera à nous régaler jusqu'au Bosphore  pouce


Lentement mais surement...

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#28 17-08-2023 16:07:58

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

ludof a écrit :

Juste une petit remarque, il manque un "i" dans "glacier du Ruitor"

Merci, c'est pris en compte smile

Yapluka a écrit :

Je crois bien que nous ne faisons pas exception et que nous sommes finalement des touristes parmi d'autres. Simplement, comme tous, nous cherchons ceux qui nous ressemblent le plus.

Bien sûr je suis un touriste, ce n'est pas un gros mot. Je ne recherche pas les gens qui me ressemblent. Bien sûr ça fait plaisir si je rencontre par surprise un marcheur longue distance avec qui nous avons à échanger, mais je suis encore plus curieux des rencontres où ne se ressemble pas mais trouvons un terrain de découverte et d'enrichissement. Ce que je n'aime pas, et je ne m'en exclus pas, c'est lorsque le tourisme se rapproche d'un acte de consommation d'un produit standardisé et abolit les relations humaines.

Nayana a écrit :

Bonjour *Samuel. Merci pour ce superbe retour. J'espère que tu continuera à nous régaler jusqu'au Bosphore

Merci ! J'y compte bien  smile

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#29 17-08-2023 16:20:40

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Les Alpes : Aoste > Locarno (Val d'Aoste, Piemonte, Val Grande)

29/07/2023 > 09/08/2023

188 km ; D+ 13 km ; D- 13 km

Je continue de parcourir le Val d'Aoste pendant encore une longue journée de plat, le long des grandes routes. Cette vallée est belle, majestueuse, spacieuse. En dehors de la ville d'Aosta, des jolis hammeaux fleuris et des montagnes qui la bordent, elle est aussi très urbanisée, industrielle, et pas accueillante pour un piéton. Relier ces villes et villages à pieds n'est pas possible du point de vue de l'urbanisation, cela n'a pas été conçu pour. Il est paradoxal de constater qu'il est des endroits où il est possible de se déplacer avec des moyens de transport encombrants, mais pas avec le moyen le plus simple, la marche. En d'autres termes, cela revient à se dire "je peux aller à ce village, ce magasin, ce camping, en voiture, mais pas à pieds". J'y parviens néanmoins sans difficulté en longeant le bas-côté des grandes routes et en franchissant quelques barrières. Selon le contexte et l'humeur, cela est pénible ou amusant. Je marche ainsi une quarantaine de kilomètres le long de cette vallée, et lorsque je me retourne, je vois au loin le col enneigé de Planaval par lequel je suis passé. J'aime ces moments où mon regard prend du recul et me permet de voir d'où je viens et où je vais, à l'échelle de quelques jours de marche. Cela me donne une échelle de temps et de distance, et j'imagine alors le chemin parcouru et les espaces traversés à pieds, qui sont bien une réalité. Cette réalité n'est pas évidente à ressentir, car il m'est finalement délicat de réaliser que je fais davantage qu'enchaîner des journées de marche les unes après les autres, mais réalise bel et bien une traversée d'Europe. Les longues distances, c'est comme les longues durées ou toute mesure particulièrement grande ou petite, notre cerveau a du mal à les apprécier, alors il nous faut des moyens détournés pour approcher le fait de se rendre compte. La cartographie est un autre de ces moyens. J'y passe beaucoup de temps pour planifier, affiner et calculer mes itinéraires des jours à venir, retracer ceux des jours passées ; mais aussi pour dézoomer l'échelle sur l'écran de mon téléphone et contempler la ligne continue marchée depuis Tarifa, et rêvasser sur la ligne pointillée jusqu'à Istanbul. Les cartes sont déjà un moyen de voyager par l'imagination, de se projeter, de rêver.

Je quitte enfin le Val d'Aoste et pénétre dans la région du Piemonte. Comme jusqu'à présent dans les Alpes, la moyenne du dénivelé des montées et descentes d'une vallée à l'autre, d'un col à l'autre, est en moyenne de 1000 mètres, souvent plus. C'est fatiguant. Je convoite les rares sections où je reste en altitude avec des montées et descentes plus modérées, sans devoir redescendre très bas et avec ainsi la possibilité de profiter plus longtemps de l'ambiance d'altitude. Ainsi sont la géologie, immuable, et mon itinéraire, que j'adapte continuellement. Je traverse une nouvelle fois des zones très touristiques où je me sens étranger, ce que je suis, mais dans ces endroits pas de façon agréable. Être seul peut être plaisant ou pesant, mais ce qui est pire que de me sentir seul, c'est d'être entouré d'autres humains sans interagir. Il y a des endroits avec des gens de toute l'Italie, de toute l'Europe, voire du monde entier, mais chacun est avec son conjoint, sa famille, pour les quelques jours de vacances réservés et planifiés. Là aussi, passer au travers des stations touristiques et sous un téléphérique menant à un restaurant à 3000m d'altitude peut être amusant ou pénible, ou parfois un peu des deux. Au-delà d'être particulièrement sensible et critique, pourquoi concentrer ces activités dans des espaces exclusivement dédiés qui semblent avoir été choisis au hasard ? Tout d'un coup, après un col, il n'y a plus aucun touriste étranger, mais une population rurale et des beaux sentiers de randonnée utilisés par les gens du coin ainsi que par les citadins des villes les plus proches, qui viennent dans leur terrain de jeu familier profiter d'une journée ou d'un week-end en montagne. De Carcoforo à Pieve Vergonte, je croise et rencontre plein de personnes sympathiques, qui ne manquent pas une occasion de m'offrir un café ou un génépi. Une matinée avec Paolo et Gabriele, très généreux et enthousiasmés par ma marche, marque un réel regain de motivation et de joie de marcher, au-delà sinon d'avancer juste pour avancer. À Calasca je m'arrête en fin d'après-midi en entendant de la musique dans une église. Un trio répète leur concert du soir. Je m'arrête alors là pour la soirée et la nuit. J'assiste à un beau concert d'un répertoire sud-américain interprété à la flûte, guitare classique et percussions par des musiciens virtuoses. Je dors sous le porche de l'église, et repars de bonheur pour une longue journée de marche.

Je quitte le Piemonte et me retrouve dans le Val Formazza. J'ai deux possibilités pour rejoindre Locarno au Nord du laggo Maggiore : descendre à Verbania et longer le lac, ou bien traverser le Parque Natural de Val Grande. Je choisis cette seconde option et monte dans ce nouveau petit massif, qui est dit-on la plus grande réserve natuelle d'Europe. Après une longue journée de 25 km et 2200m de dénivelé positif pour arriver dans le parc, je prevois de faire des demi-journées de marche pour prendre le temps de me reposer et d'apprendre l'italien à l'aide d'un manuel téléchargé sur ma liseuse. Ce ne sera pas le cas puisque j'aurai toujours de la compagnie dans les bivaccos où je passe mes nuits. Ces bivaccos sont les refuges non gardés italiens, très bien entretenus et respectés. Il y en a beaucoup en Italie, et particulièrement dans le Val Grande. Je trouve ça super comme démarche, je pense que cela permet à beaucoup d'avoir accès et de profiter de la montagne, pour un coût modéré en comparaison aux refuges gardés ultra-sunventionnés qui profitent à une population plus restreinte. Décidément, en dehors zones très touristiques, tous les italien•nes que je rencontre sont super sympas ! Une chance pour moi, l'anglais est couramment parlé, ce qui ne m'encourage toutefois pas à apprendre l'italien qui est une si belle langue. Je marche dans de paisibles forêts de hêtres, dont l'ombre permet d'avaler du dénivelé sans difficulté. Dans les hauteurs, je vois l'étendue du laggo Maggiore, et au loin, Milano et la plaine au Sud des Alpes. C'est à me demander pourquoi je passe par les montagnes pour me diriger vers l'Est. Pour être dans ce genre d'endroits justement. Lors de la dernière journée dans le parc, je pensais à nouveau marcher un peu puis arriver tôt à un bivacco, mais les 6 derniers kilomètres empruntent un sentier délicat qui n'existe presque plus. Ce n'est pas spécialement dangereux, mais je trébuche sans arrêt sur ce sol ondulé à flanc de montagne, couvert de buissons et d'herbes hautes. J'avance à 1 km/h et j'ai soif. Ce n'est pas grave, juste fatiguant, et ça fait parti du jeu cela aussi. Au moins, sur la fin, j'ai en recompese un passage de descente en rappel avec des chaînes installées sur la falaise, ce qui a un certain panache. J'arrive fatigué à 20h au bivacco, et la source indiquée sur la carte est à sec. J'étudie rapidement les différentes possibilités d'adaptation, et tant pis, je ne vais pas marcher encore une heure ou deux pour trouver de l'eau : je prends l'eau croupie d'un viel abreuvoir et bouche progressivement mon filtre avec. J'ai alors suffisamment d'eau potable, et prendrai le temps nécessaire pour déboucher mon filtre au prochain point d'eau courante. L'aventure est une pièce à deux faces dans laquelle on met les deux pieds. Après cette longue après-midi éreintante alors que l'idée initiale était de me reposer, j'ai à ma disposition un bivacco juste pour moi, de quoi me restaurer, et la soirée devant moi. Je me fais un beau feu dehors sur lequel je cuisinerai un bon repas. Quelqu'un a laissé la fin d'une bouteille de shnaps, j'en ferai mon affaire. Je savoure tout ça en contemplant mon feu et les étoiles d'une belle nuit claire sur les montagnes, en écoutant de la musique, sans me soucier de l'heure. Je l'ai, mon moment de détente.

En quittant le Val Grande je m'offre une nuit à l'hôtel pour un check-up corporel et surtout matériel. Au-delà du confort d'avoir de l'eau chaude pour me laver la tête et me raser, j'ai surtout besoin d'eau chaude et d'un espace pour laver tout mon matériel. Cela me prend une demi-journée. Je descends ensuite longuement vers Locarno et passe la frontière Suisse. Je ne dormirai pas à Locarno même mais dans la forêt qui surplombe la ville et l'immense laggo Maggiore entre la Suisse et l'Italie. J'ai un super point de vue, un beau coucher de soleil, les promeneurs sont rentrés chez eux, je dors à la belle étoile. Juste au dessus de la ville dans une petite forêt, je suis impressionné par la quantité et la diversité de bruits d'animaux autour de moi. Insectes, oiseaux, chevreuils, une vie nocturne dense dont les sons me captivent. J'entends un raffut derrière moi, je jete un œil avec ma lampe frontale : toute une fraterie de marcassins qui marche entre les fougères plus hautes qu'eux. Je ne sais pas combien ils sont, beaucoup. Je suis partagé entre l'envie de continuer à les observer et l'inquiétude de me demander si la mère est dans les parrages. Après un moment, j'envoie quelques cailloux dans leur direction pour leur faire peur et éviter qu'ils ne reviennent me déranger pendant la nuit. Me voilà en Suisse pour quelques jours avant de repasser côté italien.

Lors de cette section j'ai eu d'autres petites galères ou moments difficiles, sans panique. Des moments qu'il faut toujours savoir accueillir sans résistance et auxquels s'adapter. Un soir par exemple, je m'installe à la belle étoile au bord d'un chemin, sous une falaise oblique qui me protège de la pluie. Au moment d'aller dormir, je vois que vivent sur la falaise de nombreux scolopendres, araignées... et scorpions. Il pleut et je suis fatigué, je n'ai pas très envie de remballer mes affaires et de repartir, mais je ne veux pas non-plus prendre de risque. J'appelle une amie qui s'y connaît un peu, ces bestioles ne sont pas dangereuses. Je bricole un système pour installer ma moustiquaire au-dessus de moi et peux fermer les paupières, tout va bien. La sérieuse difficulté qui m'est tombée dessus est de ne plus avoir le goût et la motivation de continuer. Des pensées qui me disent que j'en ai assez de la solitude, qu'après cinq mois de marche en solitaire j'atteins le maximum de ce qu'il me plaît, que j'ai mis la barre trop haute. Au début je comptais partir de Strasbourg, je serais alors déjà dans les balkans et approcherais la ligne d'arrivée. Là j'en ai marre alors que je suis resté dans des pays frontaliers de la France ou en France, et que je serai dans les balkans en hiver. Rien ni personne ne m'oblige à continuer, mais je n'envisage pas l'idée d'arrêter. Disons que j'envisage de l'envisager... Puis je ne sais vraiment pourquoi, jaccepte la situation, c'est la meilleure attitude à avoir, sans comparer, sans attentes. Je me reconnecte aux motivations intérieures de cette marche, qui sont de l'ordre du rêve et donc floues, fantasmées, un peu mystiques et propices au doute, mais aussi puissantes et viscérales. Je suis alors content d'être là, j'ai hâte de la suite, et alors même que je pensais avoir atteint mes limites, m'être surestimé et avoir placé la barre trop haute, à présent Istanbul me paraît bien trop proche pour satisfaire ma soif d'aventure. Ma motivation semble sans limite et je me sens invinsible. On parle souvent du fait de sortir de sa zone de confort et de dépasser ses limites. Ça me parle. En plus de les dépasser, je pense qu'on peut aussi parler de les accepter, ou simplement de les explorer. D'un sentiment de découragement à celui d'un engouement inébranlable, je prends conscience avec plus de recul de l'existence de ces différentes humeurs, sans me projeter avec certitude sur leur issue mais en laissant cela au futur. Cette houle intérieure résonne avec ce passage de 'La longue route' de Bernard Moitessier, qui relate l'expérience de l'auteur d'un tour du monde en voilier en solitaire en 1968, et dont la lecture m'accompagne :

"Restent Leeuwin et le Horn. Non... reste Leeuwin seulement. Une chose à la fois, comme du temps où je construisais Joshua. Si j'avais voulu construire tout le bateau, l'énormité de la tâche m'aurait écrasé. Il fallait tout mettre dans la coque seulement, sans penser au reste. Le reste viendrait ensuite... avec l'aide des dieux. C'est un peu la même chose pour un tour du monde sans escale, je crois que personne n'a les moyens, au départ, de le réussir. Reste Leeuwin... et toute ma foi."

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Dernière vue sur le Val d'Aoste

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Bivaco du col d'Egua. Grand luxe : lits, poêle, gaz, électricité, récupérateur d'eau.

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Parque Natural du Val Grande

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Dans les hauteurs du Val Grande, vue panoramique sur le laggo Maggiore et le Sud des Alpes.

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Le laggo Maggiore depuis Locarno en Suisse

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Dernière modification par *Samuel (02-10-2023 11:50:41)

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#30 17-08-2023 18:58:20

Yapluka
Membre
Inscription : 23-05-2023

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#688705

ludof a écrit :

Juste une petit remarque, il manque un "i" dans "glacier du Ruitor"

Merci, c'est pris en compte smile

Yapluka a écrit :

Je crois bien que nous ne faisons pas exception et que nous sommes finalement des touristes parmi d'autres. Simplement, comme tous, nous cherchons ceux qui nous ressemblent le plus.

Bien sûr je suis un touriste, ce n'est pas un gros mot. Je ne recherche pas les gens qui me ressemblent. Bien sûr ça fait plaisir si je rencontre par surprise un marcheur longue distance avec qui nous avons à échanger, mais je suis encore plus curieux des rencontres où ne se ressemble pas mais trouvons un terrain de découverte et d'enrichissement. Ce que je n'aime pas, et je ne m'en exclus pas, c'est lorsque le tourisme se rapproche d'un acte de consommation d'un produit standardisé et abolit les relations humaines

Je suis bien d'accord avec tout ça. Le produit standardisé nous concerne aussi mais nous essayons d'explorer d'autres pistes (dans tous les sens du terme).

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#31 20-08-2023 02:04:30

bruno7864
partir, partir et découvrir
Lieu : toujours dans la Lune
Inscription : 11-10-2012

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

pouce  pouce  cool Salut Samuel,

Découvrant ton récit à l’instant, souvenir pour moi d’un périple fait dans l’autre sens en 2019, et l’envie de repartir de nouveau à pied. Si cela peut t’aider pour la suite j’en ai fait un retour sur RL (lien ci dessous).
Tu peux aussi t’appuyer sur Olé Olé ou Sjeanmarc qui a son propre site (caminaire)

Hâte de découvrir la suite. Merci de nous faire rêver  cool

Bonne continuation dans ton périple et prends soin de toi

Dernière modification par bruno7864 (20-08-2023 02:10:30)

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#32 21-08-2023 13:29:36

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Salut Bruno ! Merci pour ton retour et tes encouragements ! J'avais vu ta traversée d'Europe lorsque tu avais publié ça, et j'ai bien arpenté le site internet de Jean-Marc. Avec quelques autres vous faites partie des personnes qui m'ont inspiré, fait rêver et donner confiance en mon projet et mes rêves, en voyant que d'autres réalisent des projets similaires peu communs. Ravi que ce récit puisse faire échos à son tour !

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#33 21-08-2023 22:40:31

laxmimittal
Membre
Inscription : 23-10-2016

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Samuel,

merci de ton récit.

j'apprécie beaucoup ton témoignage il reflète l'aventure intérieure et c'est vraiment passionnant et enrichissant.

L.


La touche Majuscule de mon ordinateur fonctionne mal.

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#34 20-09-2023 15:55:18

*Samuel
Membre
Lieu : Strasbourg
Inscription : 03-06-2018

Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Les Alpes : Locarno > Sorico

10/08/2023 > 16/08/2023

81 km ; D+ 5,2 km ; D- 5,4 km

Depuis mon beau spot de bivouac au-dessus du laggo Maggiore, je dessens à Locarno en Suisse. Je suis vite désespéré par l'abondance de voitures de luxe dans lesquelles on pavane pour montrer sa richesse. Je fais quelques courses, profite du wi-fi dans un bar, et m'en vais. Je longe une partie du lac en slalomant dans la masse de touristes venus de loin pour se relaxer au bord du lac, malgré l'incessant flux de voitures et motos rutilantes juste derrière. D'habitude lorsque je passe par une ville ou un village, je plie mes bâtons, retire ma capuche, mes lunettes et mes mitaines même s'il y a du soleil, rabaisse mes chaussettes hautes, retire mes chaussettes de la veille qui sèchent sur mon sac, pour avoir l'air moins randonneur et plus accessible. Là je reste en mode sportif et trace ma route, comme invisible. Sur la carte l'endroit donne envie, mais pas en réalité. Je fais une longue journée de plat entre Locarno et Bellinzona à 25 kilomètres avant de remonter dans les montagnes le lendemain. C'est le genre de journée qui a du sens du fait que je traverse l'Europe à pieds, c'est mon cadre, ça fait partie du jeu, car je marche toute la journée en plein soleil au bord des voitures et des embouteillages. C'est étrange comme alors qu'une journée de 25 kilomètres sur du plat me serait à priori facile, celle-ci m'épuise. Il n'est pas rare que je parcours la même distance en montagne avec effort mais sans difficulté, et là curieusement je peine, j'arrive éreinté à la fin. J'ai une chance et une motivation : je sais que j'ai un hébergement et un contact humain chaleureux à la fin. Je suis hébergé chez Matteo rencontré il y a quelques jours dans le Val Grande, Jessica et leur bébé, qui m'offrent une grande hospitalité. Nous passons une bonne soirée qui ne s'éternise pas avec notre fatigue partagée.

Le lendemain je remonte et repasse en Italie. 2300m de D+ d'une traite avec 5 jours de nourriture dans le sac. En prenant de l'altitude je retrouve progressivement une nature paisible et regarde avec hauteur et recul Bellinzona, Locarno, le laggo Maggiore, et cette grande vallée traversée par un important axe routier. J'ai alors une sensation de décalage, un regard particulier sur là où je suis et ce que je vois. Je marche dans des espaces accessibles à tout le monde avec un mode de déplacement accessible à tout le monde. Je n'ai donc pas accès à des lieux privilégiés, mais ce cadre de vie est un privilège gratuit et paradoxal qui me procure un regard différent, propre à moi bien sûr, mais je crois aussi plus exhaustif et réaliste. Voir cette vallée de haut depuis la montagne me donne la sensation de voir Metropolis, une vision de science-fiction avec son côté dystopique. Cet amat de bâtiments, de routes, entièrement goudronné et quadrillé bien qu'entouré d'espaces naturels. Lorsqu'on est dedans, tout s'y passe, et l'on regarde les montagnes de loin comme un tableau, une photo en deux dimensions dans laquelle on peut éventuellement aller se ballader. En sortant de cet univers, la chose s'inverse : il existe ici et là au milieu des montagnes et des forêts, des îlots denses d'urbanisation qui ne font franchement pas rêver. On en oublie ce qui nous entoure et dont nous faisons partie. C'est un regard qui me paraît naïf et imprécis en l'écrivant, mais qui devient réel et sincère en vivant dehors et en traversant une partie du monde tel qu'il est. Arrivé au col, je vois à nouveau de l'autre côté un grand lac et une longue vallée plate et urbanisée : le lac de Como et la vallée de Valtenine. Je pourrais y descendre directement, mais je vais continuer à progresser en altitude et descendrai plus loin au bord du lac dans quelques jours. Aujourd'hui j'hésite à bivouaquer au bord d'un beau lac d'altitude dans un coin paisible, mais continue finalement vers un vieux bivacco où j'arriverai pour le coucher du soleil après une longue journée de marche. J'ai bien fait : j'y rencontre deux Stefano avec qui je passe une très bonne soirée. Ils ont allumé un feu dehors autour duquel nous passons la soirée confortablement assis sur des chaises. Un grand moment de détente du corps et de l'esprit : une bonne atmosphère humaine, un coin beau et paisible, le rayonnement du feu qui réchauffe, et au-dessus de nous un magnifique ciel étoilé régulièrement traversé par des étoiles filantes. Bien qu'ayant sommeil, j'ai du mal à m'arracher à ce moment de grâce pour finalement aller dormir. Ce soir j'aime faire ce constat : dans la même journée, je me reveillais ce matin dans le lit confortable d'un appartement et prenais un petit-déjeuner en compagnie d'une famille italienne adorable ; ce soir je suis en pleine montagne, relaxé au coin du feu sous les étoiles, complètement ailleurs et dans une autre atmosphère.

Les jours suivants, j'arpente les hauteurs de ce massif qui sépare les deux vallées. Il y a régulièrement des bivaccos qui font que ce massif est bien fréquenté par les locaux qui viennent marcher à la journée où sur quelques jours. Mes muscles et mes articulations ont besoin d'une journée complète de repos. La dernière remonte à Bourg-Saint-Maurice. Je m'arrête donc deux nuits et une journée et demi au bivacco Zebb, un bivacco construit récemment, super confortable et fonctionnel, avec des matelas, une source à côté, du gaz, du café et des vivres en quantité laissées par les précédents. J'aime ces jours de pause avec un chez moi que je m'approprie, l'excitation du vide et de ce temps off à disposition, la liberté d'en faire ce que je veux. Ces journées offrent l'espace-temps et l'ennui nécessaires à certaines activités comme écrire. Je me repose, je mange, je regarde, je ne fais rien, je m'égare dans mes pensées, je lis, j'écris, je potasse mon itinéraire. En général, la journée passe vite. M'arrêter me permet aussi de ressentir l'envie de repartir, comme pour vérifier que j'en ai toujours envie malgré les moments d'ennui, de doute ou de lassitude. Après une journée et demi de pause, je marche une journée et arrive au bivacco Petazzi qui surplombe et offre une belle vue sur le lac de Como. J'y passe une nuit, et le lendemain matin je décide d'y rester finalement pour une nouvelle journée de pause et une deuxième nuit. Ce n'est pas un besoin mais une envie du moment. Après tout je n'ai pas d'impératif ni d'objectif de performance. Je suis libre de décider à chaque instant, encore faut-il parvenir à écouter mes envies du moment présent et m'autoriser à changer mes plans, un apprentissage.

Depuis ce dernier bivacco dans ce massif, je descends au Nord du lac de Como. Le matin, je passe par de nouveaux passages techniques avec des chaînes qui permettent de franchir des cols étroits et rocailleux. J'ai franchi beaucoup de ces passages techniques et délicats ces derniers jours, qui nécessitent concentration et "pied montagnard". J'ai ma dose pour un moment. Je décide de couper en descente pour rejoindre un sentier plus loin et m'affranchir d'une dernière section escarpée sur les crêtes. Je longe une rivière splendide qui ruisselle sur des rochers lisses et plats semblables à du marbre, striés par des teintes colorées. Je saute d'un rocher à un autre, et succombe à un de ces nombreux spots de baignade naturels. Dans un coin où personne ne vient, je me baigne nu dans l'eau froide et prend un bain de soleil sur une terrasse de marbre. Plus loin je rejoins le sentier repéré dont il reste seulement des traces. Un orage arrive derrière moi, il vient bien dans ma direction. Il me passe dessus puis me dépasse. Je traverse une forêt où je retrouve enfin un vrai sentier molletonnée de sous-bois, on se croirait déjà en automne. Puis j'arrive au-dessus du lac de Como et vois la pluie et les éclairs tomber sur le lac, j'ai un beau point de vue sur ce spectacle. L'orage ne fait pas du bruit uniquement lorsque les éclairs éclatent, il y a un grondement constant dont l'intensité varie comme des vagues. Cela crée une ambiance lugubre et captivante. Je finis par une descente hypnotisante à travers des villages et arrive à Sorico au bord du lac. Je m'offre un nouveau triptyque camping-pizza-bière, mais je crois que c'est le camping de trop. Je me retrouve à planter mon tarp sur un sol caillouteux, coincé entre trois camping-cars et l'allée centrale. Il n'y aucune tente, que des camping-cars et des mobil-homes qui ressemblent plus à des appartements modernes. J'attire les regards en dormant sous un simple tarp de 300g et d'un mètre sur deux où l'on peut voir par dessous. Quand je passe une nuit en ville, je n'ai pas envie de me cacher et d'être radin, je vais généralement au camping voire à l'hôtel. Mais là j'en ai marre, c'est toujours pareil : 20€ pour avoir le droit de dormir entre des camping-cars et prendre une douche, alors que ce serait le même prix à deux avec une voiture et une grosse tente. Au final je serais mieux dans un coin à l'abri des regards et tant pis pour la douche chaude, même si ce n'est pas ce que je souhaite comme démarche. Ce soir à nouveau je peux retracer le fil de la journée et me rappeler toutes les ambiances vécues : réveil dans un bivacco en altitude, passages techniques montagneux, baignade dans une rivière de marbre, sentier herbeux disparu, orage dans les fougères, sous-bois d'automne, éclairs sur le lac, villages, pizzeria, camping. Toute cette diversité en me déplaçant à pieds, signe d'une journée réussie.

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Vue sur Bellinzona après une journée de plat dans la vallée.

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Les nuages et l'éclairage du matin depuis un col, voilà qui mérite de partir de bonne heure.

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Le bivacco Petazzi et sa vue panoramique sur le lac de Como et les alentours.

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Dernière modification par *Samuel (02-10-2023 11:51:14)

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#35 20-09-2023 16:30:33

Magne2
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Je t'avais quitté en Espagne ,je te retrouve au lac de Côme,merci pour la lecture


kalo taxidi alias bon voyage en Grec bien sur

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#36 24-09-2023 23:10:16

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Les Alpes : Sorico > Belladore

17/08/2023 > 22/08/2023

122 km ; D+ 5,4 km ; D- 4,7 km

Après une bonne section montagneuse, je quitte les bords du lac de Como et m'enfonce dans la vallée de Valtenine. Je marche deux jours et demi exclusivement sur du plat, sur une piste cyclable qui longe la rivière Adda. Cela contraste pour un temps avec les derniers jours et les prochains. J'ai la sensation d'avancer sur la carte, à une vitesse que permettent un chemin lisse et l'absence de dénivelé. C'est un autre rythme, un autre état. Je ne regarde plus là où je mets les pieds mais autour de moi d'un air oisif. Comme il y a tout de même une certaine monotonie et que j'ai le cerveau disponible, c'est l'occasion d'écouter beaucoup d'émissions tout en marchant. Je porte peu de nourriture et peux acheter ce que je veux au fur et à mesure même si c'est lourd. Il fait à nouveau 30°C sans ombre, mais sur du plat avec de l'eau très régulièrement c'est supportable. Le retour en faible altitude signifie également le retour des moustiques. Ils sont absolument partout. Au moindre petit arrêt je repars avec des piqûres plein les mollets. Il m'arrive de faire des pauses snack où je fais les cent pas pour qu'ils n'arrivent pas à se poser sur moi. Sinon, je dois enfiler mon pantalon et ma veste de pluie au travers desquels ils ne peuvent pas piquer. Les premiers mois de marche je me suis souvent demandé si j'avais bien fait d'emporter ma moustiquaire de 90 grammes. Maintenant elle me sauve littéralement des nuits, elle a bien sa place dans mon sac-à-dos. Satanés moustiques qui irritent la peau et l'humeur. Même lorsque des éléments météos sont pénibles, j'accepte la réalité et ne rêve pas d'un monde sans vent, sans pluie, sans température froide ou chaude pour un corps humain. En revanche je peux rêver et souhaiter futilement un monde sans moustiques, car je les déteste. Il serait plus sage de les considérer comme le vent ou la pluie. Cela dit je vais vers ça.

Je pourrais continuer à marcher sur cette piste cyclable jusqu'à Belladore, mais repasse par les hauteurs à partir de Sondrio. L'itinéraire est toujours un compromis et une adaptation à l'envie du moment et autres réalités. Je n'ai pas choisi de me déplacer à pieds et de traverser les Alpes pour rester sur du goudron et passer les cols que lorsque nécessaire. Et parfois je choisis d'avancer vers ma destination sans visiter tous les recoins qui en voudraient pourtant le coup. Là je fais bien de ne pas aller au plus court pendant une semaine entière. L'effort d'à nouveau monter en altitude m'est récompensé par des moments somptueux. Je passe un des plus beaux bivouacs de ma vie au-dessus du Piano della Belma, un alpage avec des petits lacs et d'autres montagnes au loin. Un bivouac comme je l'aime où j'assiste chanceux à un spectacle. C'est beau partout : le grand pic à ma gauche illuminé par la lumière chaude du soleil rasant, les nuages rouges qui passent derrière la montagne à ma droite et se reflètent dans le lac à la surface miroir, la plaine que je surpmombe, la lune au-dessus du massif lointain devant moi, tout. Le spectacle évolue en continu et les scènes se succèdent avec le soleil qui se couche. L'éclairage change de cible, les nuages disparaissent et réapparaissent, le soleil projète ses rayons en l'air lorsqu'il passe derrière l'horizon, le croissant de lune gagne en intensité, le rôle principal se relaie au fur et à mesure du temps pourtant suspendu. Toutes les scènes qui s'enchaînent avec fluidité sont plus belles les unes que les autres. J'admire vraiment un spectacle, improvisé et joué qu'une seule fois, qui ne m'est pas destiné mais dont je suis le seul spectateur. Ce spectacle suffit. Ce sont des moments de grâce et de bien-être lorsque l'endroit et l'instant présent suffisent à capter entièrement mon attention. Cela suffit largement et je suis là, captivé, je regarde et ne pense à rien d'autre que ce que je vois. Tout d'un coup je me retrouve dans les nuages. Le rideau est tiré, au lit.

Voilà un bivouac généreux jusqu'au bout : j'ai la chance de me réveiller le lendemain matin au-dessus d'une mer de nuages où baigne l'alpage encore dans la nuit. Je prévois aujourd'hui une journée de marche ambitieuse où je descends dans un vilage Suisse et remonte dormir dans un bivacco italien. Un col au lever du soleil et un autre à son coucher, et entre les deux 24 kilomètres, 1900m de D+ et 1900m de D-. Comme je pars tôt et arrive tard, je ne me presse pas et prends le temps pour m'arrêter cueillir des champignons, méditer, laver mes vêtements ou prendre deux heures de pause dans le village en attendant la réouverture du supermarché. À l'ombre dans la forêt, la longue montée se passe bien. À un moment, je pète d'énergie, puissante et énigmatique. Je monte une pente raide sur un sentier lisse et légèrement amortissant, juste ce qu'il faut. Mes jambes et mes bras me font avaler distance et dénivelé presque sans effort mais avec facilité et plaisir. Dans cet instant, j'ai l'impression que cette force pourrait durer jusqu'au soir, mais je sais que c'est une belle illusion qui me fait jouir de cet instant précieux jusqu'au bout sans me poser plus de questions. Toutefois, je sens mon esprit distrait et trop déconnecté de la forêt à mon goût. Par ailleurs, je suis dans un coin à chamignons et aimerais partir à leur recherche en m'éloignant du sentier tant que je suis dans cet univers riche que je sens prêt à s'éteindre au prochain croisement de piste, où le soleil tapant abolira toute humidité qui crée ce foisonnement vivant de sous-bois. J'arrête donc l'élan physique pour écouter l'élan intérieur. En partant explorer les alentours, je ne sais pourquoi, je me sens intimidé par ce sous-bois qui semble avoir une âme. Je me sens chez quelqu'un de plus grand que moi. Il y a là tout une communauté qui vit sa vie, dont je brise peut-être l'intimité. C'est beau, c'est riche, il y a de quoi arrêter mon regard sur chaque élément. Je sais que je ne vois et perçois qu'une infime part de ce qui m'entoure. Je sais que les champignons comestibles sont là quelque part, sous des herbes plus hautes qu'eux, dans un recoin entre une pierre recouverte de mousse et un tronc sombre, mais je ne les vois et ne les trouve pas. Je regagne alors mon sac laissé sur le chemin et m'assois pour une séance de meditation. Débutant que je suis, je parviens bien à rentrer dans un état que je pense méditatif. Lorsque je réouvre les yeux, je regarde autour de moi et cela suffit. Le spectacle de la veille suffisait à me focaliser et à m'émerveiller. Là, cela suffit alors même que je me suis arrêté dans un endroit choisi par hasard au bord d'un chemin, qu'on pourrait qualifier de lambda. Alors chaque lieu peut suffir, c'est une question de regard et de disponibilité. À ce moment je cultive ma capacité à être attentif et à m'émerveiller. Cela me semble plus réaliste qu'utopiste au fond, car chaque élément qui m'entoure est bien une merveille en soit, et mérite attention et contemplation. Qui a déjà regardé attentivement cet arbre, ce lichen, cette pierre ? Qui les a déjà vraiment considérés à leur juste valeur ? Eux aussi sont, pour reprendre l'expression de Bernard Moitessier, à la fois "des atomes et des dieux". Vivre continuellement avec cette profondeur d'attention serait bien sûr impossible et même non souhaitable, mais j'imagine que faire pénétrer cette réalité dans notre quotidien doit être beau et bénéfique. J'ai du mal à repartir car je ne veux pas rompre ma considération et ma reconnaissance pour tout ce qui m'entoure, pour tout ce qui est dans mon champ de vision, de perception, et aussi d'imagination. Lorsque je repars, l'énergie physique mystérieuse s'en est allée. Je prends conscience que tout ce que je vois, chaque endroit que je traverse qui offre une nouvelle vue et un nouveau micro-univers, mérite de s'y arrêter et regorge de potentiel d'admiration. Je peux alors avoir la sensation de passer à côté, de rater quelque chose, et aussi de manquer de respect à ce qui m'est donné, de décliner un cadeau en avançant avec des œillères. Ou bien je peux marcher en gardant autant que possible ce regard attentif et contemplatif qui suffit. Je suis alors pleinement dans le lieu, dans l'instant, avec mon corps, mes sens, mes pas, le sentier que j'emprunte. À l'approche du col, des pensées plus pragmatiques refont surface : je devrais faire sécher mon tarp mouillé par la condensation tant qu'il reste juste assez de soleil.

Arrivé au col avec le soleil qui se couche derrière moi, je découvre un nouveau coin splendide avec un lac et le bivacco visé en contrebas. J'y descends avec frénésie. En pénétrant dans ce nouvel endroit, je me vois traverser les Alpes et imagine leur grandeur inimaginable en réalité. Les Alpes, cette énorme chaîne de montagnes - peut-on encore parler de chaîne - visible de haut sur une carte mais dont il est impossible de prendre la mesure de l'intérieur, de l'immensité, de l'existence de chaque vallée, chaque col, chaque sommet. Un immense royaume qui regorge de merveilles, de lieux paisibles comme celui-ci, qui nous offre la possibilité de les arpenter, de grimper dessus, ou simplement de les regarder. Les Alpes dont il existe une infinité de manières de les traverser. Les Alpes dont chaque lieu, chaque chemin, chaque jour, chaque saison a son ambiance, et chaque personne qui les arpente a aussi sa vision, ses émotions. J'arrive au bivacco, il y a toujours un suspens au moment d'ouvrir la porte : se rejouir qu'elle soit bien ouverte, et découvrir ce qu'il y a derrière. Je pose mon sac et vais immédiatement nager et me laver dans l'eau froide du lac tant que mon corps est chaud et qu'il fait encore un peu jour. Mon entrée dans l'eau crée une onde concentrique à la surface de l'eau qui fait onduler le reflet des montagnes qui m'entourent. En voilà une journée riche en plaisirs gratuits, dont la nature reste inconnue et l'obtention incertaine, comme les champignons. Et à propos de champignons, ce matin j'ai eu la joie de trouver une coulmelle, deux cèpes des pins et des pieds de moutons, des espèces haut de gamme. Je me cuisine une poêlée dans une casserole du bivacco. C'est incroyable comme c'est bon, vraiment incroyable. J'essaye d'écrire mon journal de bord comme à mon habitude mais n'insiste pas, je tombe de sommeil.

Une troisième belle journée succède aux deux précédentes. Je ressens la journée d'hier dans mes muscles, mais pour marcher en descente et sur du plat comme aujourd'hui, aucun problème. Je redescends très progressivement vers la vallée de Valtenine le long d'une vallée perpendiculaire par une piste forestière puis par une route qui dessert différents hammeaux. J'aime ces longues et lentes descentes. Il y a le plaisir de la marche oisive sur du plat où mes mouvements sont réguliers, et celui d'évoluer toujours dans un paysage montagneux. Devant moi se dresse un pan de montagne recouvert de sapins éclairés par le soleil horizontal du matin. Une marge généreuse luminescente les entoure chacun individuellement et laisse l'intérieur sombre. C'est très beau, cela forme comme une forêt de bougies allumées en plein jour. Je me tiens d'une posture droite et digne, et je laisse rouler mon corps, fléchissant les jambes au maximum, contractant mes muscles au minimum, en étant concentré sur le fait de garder mes jambes parallèles et d'appuyer sur les bâtons. Tout en descendant, j'analyse ma démarche, mes mouvements, mes sensations, et teste des variations pour rendre ce déplacement plus fluide, moins énergivore, plus agréable et plus durable, tel un ingénieur de mon propre corps. Cette descente me demande très peu d'effort. Je me sens naviguer avec mon corps sur le sol, tel un bateau sur la mer, ou bien de me laisser rouler comme sur un vélo. J'ai l'impression de conduire mon corps tel un véhicule. Ce véhicule, c'est moi-même. Ce corps n'est pas distant de moi, c'est moi. Et c'est moi, plus que mon corps, qui descends en me laissant aller ainsi, qui traverse les montagnes, les pays et un continent. En voyageant à velo, et j'imagine aussi en bateau, il y a une relation personnelle qui nous nous lie avec notre moyen de transport qui est bien plus qu'un objet. En marchant, il y a aussi une connaissance et un dialogue qui se développe avec ce corps en fonctionnement. Je peux voir ce rapport comme avec un objet qui me sert à marcher, mais même si cela paraît évident, je réalise que c'est bien plus que cela. Cet objet, c'est moi-même. Cette connaissance et ce dialogue, c'est avec moi-même. Et je vois apparaître une sensation lointaine mais comme tout lente et progressive, possible donc, d'unité de mon corps et de mon esprit soit-disant distincts. Un tout qui forme un moi sans distinction, sans hiérarchisation, sans mépris ou négligence, sans oubli. Ressentir, penser, vivre avec mon corps tout entier. Cet horizon est encore flou et très inconnu, mais je sens qu'il existe et souhaite m'y diriger, marcher à sa rencontre, pour mon bien.

Au bout de cette descente je rejoins la piste cyclable que j'avais laissée il y a trois jours. Je finis cette journée par une dizaine de kilomètres de plat dans la vallée habitée, en longeant la rivière Adda en compagnie de quelques cyclistes qui me doublent. J'écoute un album de Moondog dont la musique, tout comme la marche, est pure, simple, et profondément belle. J'arrive à Belladore où je retrouve mon ami Mathéou avec qui j'avais marché dans la Sierra de Gredos en Espagne, venu me rejoindre une seconde fois pour marcher une dizaine de jours ensemble.

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Après trois jours sur une piste cyclable en fond de vallée, il est bon de me retrouver et de marcher à nouveau en montagne.

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Une de mes plus belles soirées en bivouac avec ce spectacle qui m'est offert tout autour de moi.

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Levé avant le soleil au-dessus d'une mer de nuages.

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Bivacco en vue !

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Lorsque je ciel est clair je regarde toujours les étoiles et quelques étoiles filantes avant d'aller dormir.

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#37 25-09-2023 08:48:12

steves
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

superbe récit, merci!

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#38 02-10-2023 11:34:24

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Les Alpes : Belladore > Bolzano (Parco Nazionale dello Stelvio, Südtirol)

23/08/2023 > 02/09/2023

153 km ; D+ 9,9 km ; D- 10,4 km

Depuis Belladore, nous nous dirigeons vers l'Est dans le grand Parco Nazionale dello Stelvio, ou Nationalpark Stilfser Joch en allemand. L'itinéraire choisi nous amène à crapahuter dans les pierriers et gravir quelques nouveaux cols et sommets à 3000m d'altitude. De très nombreux malgas sont présents dans ces montagnes. Ce sont de longs bâtiments qui abritent le bétail en été avec en général une habitation à côté. Certains sont abandonnés, d'autres semblent entretenus mais inutilisés, et d'autres enfin sont bien en service. Ça fait plaisir de voir une activité agricole d'estive et d'altitude là où elle est beaucoup supplantée par le tourisme dans les pays riches. Beaucoup de ces malgas ont une pièce réservée à l'accueil des marcheurs, avec un aménagement très variable mais toujours fonctionnel et bienvenu pour y passer la nuit. Lorsque avant de découvrir cette réalité nous voyons sur la cartographique OpenStreetMap tous les points mentionnés comme "Abri", ça nous paraissait louche pour être vrai. Et finalement oui, il y a bien sûr toujours des surprises, disons des malgas "faux positif" ou "faux négatif", mais la région est bien couverte d'abris, plus que nécessaire même pour y dormir chaque soir. Nous enchainons ainsi sept nuits en malga et laissons la tente au fond du sac. Une journée même, nous nous réveillons dans un premier malga, nous prenons une pause café dans un deuxième malga, nous déjeunons sur la terrasse d'un troisième malga, et dormons enfin dans un quatrième malga. C'est le luxe, ça donne envie d'en déplacer certains vers des zones sans cabanes pour équilibrer, pure fiction bien sûr.

Deux jours de fortes précipitations et vents forts sont annoncés. Cela fait plusieurs jours que je ressens le besoin de prendre une journée de pause, mais je peux encore continuer, autant faire coïncider jours de pause et jours de pluie. Nous nous arrêterons donc dans un de ces malgas, toujours avec le suspens de découvrir quel niveau de confort nous y attend pour se reposer et laisser passer la météo hostile. Nous arrivons dans le Malga Cercen Alta, ouvrons la porte et découvrons les lieux : une pièce assez grande carrelée, propre, avec une table, des bancs et des chaises, un buffet avec un peu de vaisselle et même un lavabo qui capte l'eau du ruisseau. Ce n'est pas spécialement chaleureux mais tout à fait fonctionnel. Bien sûr nous rêvions aussi de lits et même d'une cheminée comme parfois, mais c'est du bonus. Nous nous disons "OK, donc nous allons passer trois nuits et deux jours dans cette pièce". Cela paraît long et stimulant à la fois. Comme toujours, le temps passe vite. Finalement la météo était bien meilleure qu'annoncée, il aurait été possible bien que rude de marcher. Mais j'avais de toute manière besoin d'un jour de repos et il n'y avait pas à hésiter au vu de ce qui était annoncé en termes de millimètres de précipitations, orages et vitesse du vent. Le temps s'est par ailleurs soudainement rafraîchi l'espace d'une semaine. Il fait 10-15°C le jour et 0-5°C la nuit avec un ciel nuageux, un peu de vent et quelques averses timides. Cela fait frais quand on s'arrête manger, au moment de partir le matin ou de se laver le soir, mais c'est agréable. Je préfère de loin marcher dans ces conditions que par 25-30°C voire 35°C sous un soleil tapant. Je redécouvre la sensation de ne pas devoir boire et transpirer en continu pour réguler ma température. Puis un temps chaud mais pas caniculaire reviendra.

En plus de ses nombreux malgas, le Parco Nazionale dello Stelvio possède de nombreux sentiers bien entretenus et balisés. Mis à part à proximité de quelques villes et parkings, nous ne croisons toutefois personne et n'avons plus le suspens de découvrir si nous allons passer la soirée seuls ou en compagnie : nous sommes toujours seuls. De manière plus générale, le bivouac semble encore moins pratiqué. Depuis Grenoble je n'ai vu aucune tente ou tarp, tout au plus quelques fois des gens qui semblaient marcher en itinérance-autonomie. De même, soit je suis littéralement seul, soit je suis avec de nombreux touristes internationaux qui logent dans les villages-vacances. Entre les deux et grâce aux bivaccos, il y a ces zones où la montagne est connue par les locaux mais épargnée par le tourisme de masse, tel que le Val Grande ou le massif au Nord du lac de Como. Peut-être que je me sens seul comme marcheur-bivouaqueur car je dessine mon propre itinéraire et ne marche pas un itinéraire connu et reconnu tels que le GR5 en France ou la Via Alpina. On me demande souvent d'ailleurs "Ah tu fais les chemins de Compostelle ?" ou "Je connais pas cet itinéraire il s'appelle comment ?". Parfois même des marcheurs ou marcheuses habitué•es ont du mal à comprendre. En tout cas, c'est à se demander où va tout le matériel de camping et voyage vendu dans les magasins de sport.

Après le Parco Nazionale dello Stelvio et sans nous en rendre compte, nous changeons de région et entrons dans le Sud-Tyrol, 'Südtirol' en allemand et 'Provincia Autonoma di Bolzano' ou 'Alto Adige' en italien. J'étais étonné en voyant tant de noms allemands en Italie sur la carte, sans me questionner davantage. Je ne connaissais pas l'existence et la particularité de cette region. Composant une grande partie du Nord-Est de l'Italie, le Sud-Tyol faisait partie de l'Autriche-Hongrie et fut rattaché à l'Italie à la fin de la première guerre mondiale. Les populations germanophones et italophones cohabitatent donc depuis, avec une histoire mouvementée que je ne tenterais pas de résumer. L'article wikipedia dédié est assez complet je trouve. La région a un statut d'autonomie poussé depuis 1972. Aujourd'hui les deux langues officielles sont parlées et beaucoup d'habitants sont bilingues. Au-delà de la langue, le changement de région se fait aussi sentir par un changement de paysage et d'atmosphère dont tout n'est pas identifiable. Le territoire montagneux se partage entre vastes forêts et pâturages, avec une activité d'élevage visiblement répandue et emblématique. Les grands bâtiments agricoles en pierre et en bois dans ce paysage m'évoquent l'imaginaire que j'ai de l'Autriche. Après quelques jours de marche dans ce paysage, nous arrivons à la grande ville étape de Bolzano. Cette arrivée a beaucoup de ressemblances avec mon arrivée à Grenoble il y a bientôt trois mois déjà. Nous voyons cette métropole de loin depuis les montagnes et nous y descendons à travers des falaises verticales qui rappellent le Vercors. La ville est au carrefour de différentes grandes vallées et axes routiers, et est entourée par des massifs montagneux distincts. Le parallèle est vraiment frappant. Et comme il est toujours tentant de comparer ce que l'on découvre avec ce que l'on connait, l'arrivée à Bolzano m'évoque aussi mon Alsace d'adoption. Nous descendons par la forêt où des châteaux forts surplombent la vallée, puis traversons des villages fleuris avec des maisons à colombage, espacés par des vignobles. Là aussi la ressemblance avec les Vosges et la plaine alsacienne est amusante ! Nous pensons arriver tard à Bolzano, passer deux nuits à l'hôtel et une journée en ville avant que Mathéou reparte. En milieu de journée nous cherchons un logement sur internet et surprise : il n'y a rien à moins de 200€ la nuit. On a du mal à y croire mais nous nous rendons à l'évidence que c'est le cas. Ah il y a une auberge de jeunesse, nous appelons, c'est complet. Bien, nous étions partants pour payer l'hôtel mais à ce prix nous n'y songeons même pas, nous ferons nos clochards célestes au-dessus de la ville. Nous sommes tout de même touchés et énervés par cette démesure. Se loger une nuit à Bolzano est donc réservé aux plus riches. Certes nous pourrions si nous voulions, et préférerions d'ailleurs aller en ville vraiment, mais nous ne sommes pas dans le besoin et là ne voulons même plus, c'est juste triste à constater et énervant, mais pas grave pour nous. Nous repérons sur la carte une colline qui surplombe la ville cinq kilomètres en amont de celle-ci. L'intuition était bonne : l'endroit n'est pas incroyable mais "bivouaquable" et nous avons une vue sur la ville. C'est marrant d'être assis dans ce bosquet surélevé et d'avoir dans notre champ de vision un château fort, des vergers, une piste cyclable, l'autoroute sans traffic à cette heure-ci, une station essence déserte avec son éclairage de nuit, un chemin de fer avec un train qui passe à intervalles réguliers, la ville qui s'allume, les montagnes au loin, et là où nous sommes un bout de forêt avec ses bruits d'oiseaux et d'insectes.

Le lendemain nous marchons les derniers kilomètres jusqu'à Bolzano d'où Mathéou reprend le train et le bus pour la France. Je profite d'être dans cette grande ville pour acheter une nouvelle paire de bâtons. J'ai remarqué la veille qu'une fissure s'est formée sur une section d'un bâton. Lorsque la section sera complète le bâton cassera et selon le moment, cela peut être plus que dangereux. J'aurais bien aimé amener cette paire qui me suit depuis 5 ans jusqu'à Istanbul mais n'hésite pas à les remplacer. J'estime avoir marché au moins 5000 km avec ces bâtons. Selon mon fameux calcul pour appréhender le coût au quotidien et la durabilité de mon équipement, cela revient à environ 2 centimes par kilomètre ou 40 centimes par jour de marche, tout de même.

J'ai très envie d'une journée off et d'un check-up corporel et matériel mais le coût des hébergements en ville ne m'y autorise pas. Je passe donc une seconde nuit un peu hors de la ville pour y retourner le lendemain, sur une colline où je monte péniblement et où je dors entre moustiques et déchets laissés au sol. Là ça fait plus marginal que clochard céleste. Si l'auberge de jeunesse est toujours complète demain, je repartirai donc sans mon check-up. Ils ont une place, chouette. Je profite de cette journée pour aller visiter le musée archéologique du Haut-Adige consacré à Ötzi, un homme qui a vécu il y a 5200 ans à l'âge de cuivre, naturellement momifié dans la glace et retrouvé par hasard en 1991 à 3200m d'altitude dans la région, et dont l'étude a apporté de nombreuses connaissances sur cette période de l'humanité. Le musée présente notamment tous les vêtements et accessoires trouvés congelés dans la montagne autour de la momie : pagne en peau de chèvre, veste en cuir de chamois et bouquetin, bonnet en fourrure d'ours, chaussures en peau d'ours et de cerf isolées avec du foin, arc en if, carquois en écorces de bouleau, hache à lame de cuir pur, champignons médicinaux et bien d'autres, ainsi que de quoi réparer ses outils et ses vêtements, ou encore de quoi allumer un feu. Je trouve toujours fascinant et stimulant, mais aussi perturbant et vertigineux, de tenter d'imaginer à partir de ces éléments la vie de l'humain à cette époque. Car nous sommes comme eux et elles, nous sommes la même espèce, nous sommes les mêmes, à deux époque différentes.

Bolzano est symboliquement une ville étape importante pour moi car elle représente exactement la moitié de mon itinéraire estimé du détroit de Gibraltar jusqu'à Istanbul : 3500 km et 125 km de dénivelé, sur 7000 km et 250 km de dénivelé estimés. Cela fait six mois que je marche depuis mon départ en Espagne fin-février. Déjà six mois ou tout de même six mois, une période vite passée et une période dense, ces deux sensations sont vraies. De même je peux me dire qu'il me reste "tout ça" ou "que ça". Une personne rencontrée au cours de cette marche m'a joliment écrit "Tu laisses la moitié de ton voyage derrière toi". Presque un mois plus tard au moment où j'écris cette publication, je me dis qu'effectivent ce mode de vie est à la fois dense et paisible, et que je compte bien continuer à le vivre et l'explorer.

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En hauteur à 3000m dans les pierriers...

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...et au bord des glaciers.

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Un sac bien rempli de victuailles pour passer deux jours à l'abri dans un malga pour se reposer et laisser passer le mauvais temps.

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Un des très nombreux malgas qui parsèment les montagnes du Parco Nazionale dello Stelvio.

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Intérieur d'un malga pour le bétail.

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Nouveau 3000m, nouveau désert de cailloux.

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On change de region : arrivée dans le Sud-Tyrol. Beaucoup de forêts, des prairies, de grandes fermes, toujours en montagne, et là-bas au loin : les Dolomites.

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Clavaire, un corail dans la forêt

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Culture de la vigne en pergola dans les alentours de Bolzano.

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Descente vers Bolzano, qui me rappele mon arrivée à Grenoble il y a trois mois.

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Bolzano. Voilà six mois que je suis parti de Tarifa au Sud de l'Espagne. J'ai marché 3500km avec 125km de dénivelé, soit la moitié de mon itinéraire estimé jusqu'à Istanbul.

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Vue sur Bolzano depuis une colline où je passe la nuit.

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Dernière modification par *Samuel (02-10-2023 11:52:16)

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#39 29-10-2023 09:19:08

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Les Alpes : Bolzano > Vallone Popera (les Dolomites)

04/09/2023 > 11/09/2023

143 km ; D+ 9,7 km ; D- 8,0 km

Après ces deux jours à Bolzano, je quitte la ville en direction des Dolomites. Après quelques heures de marche, l'impression d'avoir de la fièvre et des nausées se confirme et je dois me rendre à l'évidence : je suis tombé malade. Je ne m'en étais pas rendu compte en partant ce matin. Si j'avais su je serais resté une nuit de plus à l'auberge, mais je ne vais pas faire demi-tour : la sortie de Bolzano était longue et pénible en longeant l'autoroute bruyante, et même dangereuse lorsque je devais marcher sur la route sans bas-côté. Je regarde rapidement les hébergements à proximité sur internet : que des gîtes à 200€ la nuit, option écartée. Je prends des médicaments et continue de marcher voire jusqu'où ça me mène. Je me sens seul au milieu de toute cette "richesse" manifestée par de grandes villas, de grandes voitures, de hôtels-restaurants réservés à celles et ceux et qui ont de grands moyens, et moi qui, c'est rare, peine à trouver un endroit où bivouaquer au milieu de tout ça. Les médicaments contiennent la fièvre et la nausée, je suis fatigué mais j'avance en mode machine et finis par m'arrêter à la tombée de la nuit pour dormir à la belle étoile au bord d'un chemin à l'entrée des Dolomites.

Je dors bien et le lendemain bien que ce ne soit pas la pleine forme, je ne me sens plus malade. Je pénétre davantage dans la montagne et dans cette première section du parc où je découvre alors la réalité touristique des Dolomites. Bien sûr je savais que ce massif réputé est touristique et fréquenté, plus encore que les régions des Alpes entièrement dédiées au tourisme que j'ai déjà traversées, mais j'imaginais tout de même pouvoir découvrir et apprécier ces fameuses montagnes. Honnêtement je ne soupçonnais pas possible l'ampleur de la démesure de ce tourisme de masse. En pleine montagne et à plus de 2000m d'altitude, il y a tous les deux kilomètres des hôtels-restaurants appelés "refuges" pouvant accueillir plusieurs centaines de personnes. Les sentiers sont abondamment fréquentés par des touristes de tous horizons qui pour beaucoup découvrent visiblement la montagne pour la première fois dans les Dolomites. Ainsi nous marchons à la queue-leu-leu, et toutes les demi-heures il y a la possibilité de commander un spritz en terrasse avec des centaines de congénères mais personne ne s'adresse la parole. Voilà, le confort et les habitudes d'un centre-ville en altitude, pour "faire les Dolomites" pendant quelques jours de vacances. Ce qui me frappe et me touche le plus, ce n'est pas que d'autres n'aient pas les mêmes habitudes et envies que moi, c'est de mettre tout ça en place pour ça. Venir en avion de loin pour quelques jours, construire autant d'infrastructures, attirer tout ce monde par des campagnes de pub, dépenser des sommes immenses en promesse d'une expérience de montagne, pour finalement galérer à marcher quelques kilomètres car on a pas l'habitude, jeter un coup d'œil sur le paysage et dans ces conditions, je pense que c'est comme le regarder à travers une vitre, comme regarder une image sans ressentir que l'on est dedans. Personnellement même en marchant depuis des mois et en traversant les Dolomites à pieds, c'est la sensation que j'ai. Pourquoi venir dans les Dolomites à tout prix ? Surtout pour celles et ceux dont c'est une première expérience, pourquoi commencer par là ? Cela renforce l'idée qu'il faut aller loin et dans les lieux à priori les plus grandioses pour ressentir une émotion face à la nature, et que ces lieux doivent alors à tout prix être accessibles à tout le monde. Oui à tout prix, donc en réalité à celles et ceux qui en ont les moyens. Les jours qui suivent ne font qu'enfoncer ma vision de cette réalité.

Après les hôtels-restaurants d'altitude, je découvre les hôtels-restaurants carrément sur les plus hauts sommets à 3000m d'altitude, accessibles en téléphérique depuis les vallées. On a vraiment eu le délire mégalo de se dire : on va mettre des gros bâtiments sur les plus hauts sommets visibles de loin, pour le kiff de se faire un resto à 3000m avec vue panoramique, car comment se faire plaisir sinon, et tant pis pour le coût énergétique et le paysage, aucun garde-fous. Le troisième jour je me réveille peu avant la ville de Colfosco et mince, la fièvre partie est revenue. Je suis à nouveau malade et fatigué. Je comprends qu'il me faut une journée complète de repos pour que la fièvre s'en aille pour de bon. Je regarde tout de même les hébergements à proximité : toujours rien à moins de 200€. Je traverse la ville et effectivement, il n'y a que des infrastructures touristiques : magasins de sport tendances, agences d'excursions sportives et hôtels luxueux, le tout recouvert de bois pour donner un aspect "montagne". Je rêve d'une simple auberge comme j'en avais croisées à deux reprises lors de ma traversée des Pyrénées et où je m'étais arrêté. Un dortoir, une salle de bain, une salle commune, pourquoi pas un petit bar-épicerie, le tout tenu par une ou deux personnes sympathiques. On est content de payer les 15€ pour la nuit, de se reposer et de pouvoir échanger une discussion. Je n'ai rien besoin de plus que d'un petit espace à l'abri du vent et du soleil pour me reposer une journée, mais cela n'existe pas ici. Je vois finalement qu'il y a un camping où je peux m'installer en plein soleil au bord de la route. Je sens que je vais y finir même si ce ne sera pas agréable ni optimal pour me reposer, et que la nuit reviendrait moins chère par personne à deux dans un camping-car que moi sous mon tarp... Et puis merde, je n'ai pas envie de rester là même si je suis malade. Je vois qu'il y a une cabane à 10km et 1000m plus haut. J'attends la réouverture d'un supermarché et repars à 16h, me disant que je bivouaquerai pas loin hors de la ville et que j'irai me reposer le lendemain dans la cabane. Finalement, j'irai jusqu'à la cabane le soir-même. Je mets 4h à gravir ces 10km, dont la fin sur du pierrier en portant 5L d'eau, car d'après la carte il n'y en aura pas à proximité de la cabane. Je finis en marchant à pas très lents, le corps fatigué par mon état fiévreux. J'ai l'impression d'avoir la démarche d'une personne très âgée. J'arrive pile à la tombée de la nuit et découvre mon hébergement : une cabane en bois assez grande avec à l'intérieur tables et bancs, et c'est tout. C'est parfait, la cabane est très saine, aucune crotte de souris ni de toile d'araignée (c'est assez rare pour le souligner). Il n'y a effectivement pas d'eau à proximité mais je n'aurai pas à aller en chercher demain, et il y a une belle vue à 180°. Quelle paisibilité, je vais être bien ici pour me reposer. Je suis fier d'être monté jusqu'ici dans mon état et surtout très satisfait d'avoir dit merde au camping. Une belle surprise m'attend : en regardant les étoiles avant d'aller me coucher, j'entends des sons inédits au loin venant d'une forêt. Oui ce doit bien être ça, ça ressemble aux enregistrements que j'ai pu écouter : j'entends pour la première fois de ma vie le brame du cerf. Ils sont assez loin mais je les entends bien. Ils semblent être nombreux. C'est impressionnant, je suis content et ému, gratifié de ce cadeau comme une récompense. Dans mon sac de couchage la porte de la cabane fermée, je les entends toujours et m'endors avec eux.

Je parviens à faire une longue nuit de sommeil, et pour une fois je suis content de me lever tard. Génial, la fièvre est complètement partie. Mais je sens que mon corps a besoin d'une journée de repos pour bien repartir, et une deuxième bonne nuit par dessus me remettra en pleine forme. J'aime toujours autant les jours off en cabane. Je passe du temps dehors, je prends des photos, j'ai un peu de couture à faire que je procrastinais, je fais la sieste. C'est curieux comme on pourrait imaginer qu'une cabane en libre accès dans les Dolomites pourrait être convoitée et comble, mais elle n'intéresse visiblement personne, la plupart des promeneurs que je vois passer ne regardent même pas à l'intérieur. Personne ici n'imagine dormir là-dedans, tout le monde est à l'hôtel, en vallée ou en altitude. En fin de journée pourtant un couple italien arrive, un peu paniqué. Ils ont mal estimé leur ballade et ont peur que la nuit tombe avant de regagner leur voiture, mais n'ont rien pour dormir. Ils hésitent et décident de rester ici passer la nuit. Je perçois que cette situation leur est autant angoissante qu'excitante, inédite en tout cas et vraiment hors du commun. J'essaye alors de voir la situation à travers leurs yeux, de ressentir ou comprendre la folie qu'ils vivent, et de voir alors ce que fait le français avec eux comme incroyable ou même inconcevable. Effectivement, apprendre que demain je compte dépasser une ville à 20km d'ici et que je ne sais pas où je dormirai leur semble irréel, plus que le fait que je traverse l'Europe d'ailleurs. Ainsi nous mélangeons chacun notre réalité et celle de l'autre, pour peut-être en retour déplacer légèrement nos perceptions de nous-même et de l'autre. J'aime cet exercice de pensée. Essayer de comprendre la folie qu'ils vivent ce soir, de réaliser l'aspect inconcevable et inconnu de ce que je vis pour d'autres, et d'adopter un regard moi-même ému par ce que j'entreprends. C'est ce dernier point le plus difficile. Je me sens souvent dans une zone de confort avec un sentiment de marcher pour marcher, bivouaquer pour bivouaquer, en oubliant que je vis un rêve, un expérience concrète d'un rapport à moi-même et au monde. J'y un vois une démarche simple et naturelle, et également - celle que je peux oublier - forte et poétique. Des choses m'aident à me reconnecter à cette dimension : rêver sur une carte ; me voir de haut marcher dans un paysage et m'imaginer traverser ainsi des pays et tant de lieux uniques et variés ; et également recevoir le regard des autres, répondre à la curiosité des gens et raconter ce que je fais, comment je vis. C'est devenue une habitude mais pas une routine, c'est toujours un échange unique qui m'apporte à chaque fois un petit quelque chose. J'offre ce que je peux à mes deux colocataires : une tisane, un reste de génépi, ma dernière bougie et mon bivy pour la nuit. Pour une fois que c'est moi qui peut rendre service matériellement et faire plaisir.

Après cette pause nécessaire, je descends à Cortina d'Ampezzo où je ne m'éternise pas au milieu du flux incessant de voitures de luxes et de SUV qui ne rentrent même plus sur les places de parking. Ce jour-là, je peine à trouver un bon spot de bivouac, c'est à dire avec une vue et pas au bord de la route. Je comptais m'arrêter tôt mais pousse toujours plus loin, irrité par le bruit des motos et des voitures qui résonne sans cesse. Je pourrais dormir en pleine forêt mais je persiste à vouloir une vue pour la soirée même écourtée. Je repère une clairière sur ma carte où il semble ne pas y avoir de bâtiments. Allez je tente ma chance. En arrivant je suis surpris d'y découvrir plein de grandes tentes canadiennes, je pense immédiatement à un camp scout. Je me vois déjà partager la soirée avec eux, excité de ce moment imprévu et inconnu qui s'annonce. En fait il n'y a absolument personne. Ils sont peut-être en sortie, je me lave à l'eau d'une source aménagée en attendant leur probable retour pour la soirée. Tout de même, il y a de sacrées installations pour un camp scout : un immense banquet couvert sur du parquet, des luminaires, de grands barbecues, etc. Personne ne vient, et visiblement personne ne viendra. J'ouvre alors quelques tentes et y découvre dans chacune d'entre elles deux lits avec draps et couettes, tables de nuit et électricité. En remontant les câbles électriques je tombe sur le groupe électrogène à l'écart du campement pour éloigner le bruit. Mais qu'est-ce que c'est que ce délire ? Cela ressemble à une installation pour une fête luxueuse type mariage dans la forêt, format camping de luxe. Je cherche sur internet le nom inscrit sur l'une des tentes et découvre le concept de glamping, contraction des mots glamour et camping, "pour ceux qui aiment la liberté qu'offre le camping mais ne veulent pas faire de compromis en ce qui concerne le confort de leur maison" (citation du site de l'entreprise en question). Aucune limite, tout ça pour une soirée, à un prix astronomique, pour se donner l'impression d'une expérience nature. Ma curiosité me fait trouver un stock d'eau minérale luxueuse en bouteille (on ne va pas boire l'eau de la source tout de même) et de bouteilles de bières. J'ai ma soirée : je prends une chaise et deux bières, je m'installe confortablement et m'allume un bon feu. Je passe ainsi la soirée devant mon feu et sous les étoiles, à manger et siroter des bières tout en écoutant FIP sur mon téléphone, un pur moment de détente. Je dors ensuite dans une tente sur l'un des lits (dans mon sac de couchage tout de même), voilà mon kiff à moi ainsi qu'une compensation symbolique et insignifiante de ce que je subis du tourisme des Dolomites.

Je passe ensuite par le lac de Misurina qui me semblait épargné sur la carte mais qui baigne tout autant dans ce flux de véhicules et est bordé par de grands hôtels-restaurants presque mitoyens. Comme j'ai besoin de pauses même courtes dans ma journée, je parviens à me créer une micro-bulle de paisibilité au bord du lac, en regardant des canards plonger le bec dans l'eau et montrer leur croupion face au ciel - je trouve ça toujours aussi amusant - puis en me berçant par la vision du vent qui souffle des graminées sur une tourbière flottante au milieu du lac. Bon, c'est reparti. Je passe à l'épicerie dont je fais trois fois le tour déboussolé par les prix, et me résigne à acheter un saucisson "Special Südtirol" avec de la viande "Origin: extra-UE" ainsi qu'un sachet de flocons d'avoine, avec ce qui me reste ça fera l'affaire jusqu'au prochain ravitaillement. Je dois encore marcher sur la route et laisser passer les voitures, je croise un camping avec de la techno diffusée à fond sur des enceintes, un autre ou un type crie en continu dans un micro pour un jeu-concours, histoire d'être sûr de ne pas pouvoir entendre un seul oiseau entre deux voitures. Je monte enfin dans la dernière partie des Dolomites, celle des célèbres 'Tre Cime di Lavaredo' que je redoute à présent. Comme il se fait tard, je ne croise plus personne et je trouve une petite grotte dans une vallée encaissée pour passer la nuit. La vue est belle. Je pourrais presque oublier de quoi je suis entouré si je n'entendais pas en continu le bruit du groupe électrogène d'un refuge plus loin qui est une vraie centrale électrique, le bruit des drones des gens qui dorment dans ce même refuge, ainsi que le bruit des avions réguliers qui viennent déverser ces flots humains à l'aéroport de Bolzano. J'ai des acouphènes ce soir, je ne sais pas si c'est d'avoir été exposé ou bruit et/ou d'avoir été énervé toute la journée.

Bon, je me plains d'être ici et de ce que j'y vois, mais j'ai choisi mon itinéraire et me suis jeté dans la gueule du loup. Manifestement, je veux sortir d'ici le plus vite possible car j'en ai marre d'être énervé ainsi et de me sentir misanthrope. Alors le lendemain je me lève tôt et marche d'un pas énergique toute la journée avec juste quelques courtes pauses, et fais presque en une journée ce que je prévoyais en deux. Je m'approche du bouquet final des Dolomites : les 'Tre Cime di Lavaredo', ces trois sommets rocheux emblématiques que l'on voit sur toutes les cartes postales. Le matin j'arrive au refuge et au parking principal. Je comprends que je suis à un endroit clé du tourisme mondial. Nous sommes à 2300m d'altitude avec une route et des infrastructures pour accueillir plusieurs milliers de personnes par jour. Des cars de différentes nationalités viennent amener et ramener des groupes de touristes. Franchement, je ne vois presque pas un sourire, et je ne souris pas du tout moi non-plus. Ici est un des lieux de la planète ou l'on vient en avion de partout (enfin principalement des États-Unis, du Canada, de Chine, d'Australie et des pays riches européens) marcher cinq kilomètres pour se prendre en photo devant les Tre Cime et repartir. Une antenne téléphonique a d'ailleurs été installée pour pouvoir partager ses clichés sur internet sans devoir attendre d'être de retour à l'hôtel. On est dans un aéroport, et de mon ressenti les gens ont l'air plus stressés qu'apaisés, plus dans l'inconfort d'être là dans la foule que dans une chambre d'hôtel ou chez eux, et l'attention davantage dirigée vers le téléphone que vers la montagne qui n'est toujours là que comme un poster sur lequel on jète bref un coup d'œil.

Je m'insère dans la longue file indienne en direction du Tre Cime. Ces cinq kilomètres pour aller au lieu-dit des cartes postales ont l'air bien éprouvants pour beaucoup des gens qui sont là. À nouveau je vois des équipements entiers de vêtements techniques, sac-à-dos et bâtons de marche flambant neufs, dont je pense propable que certains ont été achetés juste pour l'occasion et ne resserviront pas. Je ne passerai pas par le fameux lieu d'où l'on peut admirer les Tre Cime, je n'en apprécierai rien. Je m'extrais de la file indienne et passe par l'autre face de ces sommets sur un sentier moins fréquenté. Mes pas et mes bâtons avalent le sentier de façon très efficace. J'enchaîne les refuges sans m'y arrêter, sauf au dernier où je demande une information. Mon tracé me fait passer par une portion de cinq kilomètres à flanc de falaise qui ressemble à une via ferrata. Si cette section nécessite d'avoir un équipement spécial (harnais, mousquetons, cordes), cela ralongera considérablement mon itinéraire. On me dit qu'il s'agit bien d'une via ferrata et qu'il faut être équipé, puis que certains le font sans équipement mais que c'est dangereux. Mince mince mince, et en même temps ce genre d'information est très subjective. Je me dirige vers l'endroit en question et demande aux gens qui viennent de faire la via ferrata dans l'autre sens. On me répond qu'effectivent certaines personnes le font sans, mais qu'il est très préférable d'avoir harnais et mousquetons. Je me sens stressé, et décide de m'approcher en mobligeant à faire demi-tour dès que je juge un passage trop risqué. Là je dois être auto-discipliné avec cette règle car le détour ne se compterait pas en heures mais en jours. Finalement je demande une dernière fois à trois dames qui me répondent qu'il n'y a aucun soucis, que le chemin est large et qu'elles n'ont même pas eu à se servir de leur équipement. Voilà qui me rassure ! Effectivement, il s'agit d'un généreux sentier taillé dans la falaise avec une main courante tout le long rarement nécessaire, et quelques passages où il faut mettre les mains. Juste de quoi avoir de bonnes sensations sans s'inquiéter. Je croise les derniers qui finissent la via ferrata, équipés de la tête aux pieds avec du matériel loué, dont certains me disent être frustrés d'avoir louer tout ce matériel inutilement. Je me retrouve seul en cette fin d'après-midi et là c'est mon moment à moi. J'oublie de quoi je suis entouré et apprécie la beauté de là où je suis. La via ferrata est très agréable à parcourir, l'éclairage de fin de journée rend le moment captivant, j'entends enfin les oiseaux dont le chant résonne sur la falaise, je m'arrête souvent faire des photos et vois le coucher de soleil depuis le col final avant de redescendre sur l'autre versant. La descente est plus délicate dans les graviers et la main courante est là indispensable. Je perds un moment le chemin et dévale un pierrier de graviers comme si j'étais dans la neige. C'est un peu casse-gueule,  ça use les semelles, mais c'est fun. Je retrouve le sentier et arrive de nuit au spot de bivouac visé : un lac finalement asséché qui a laissé un parterre de sable fin traversé par un ruisseau sinueux, c'est très mignon. Je me lave immédiatement dans le ruisseau dont l'eau vient du glacier juste au-dessus (ça fait frais) et installe mon bivouac. Là aussi je suis bien et profite juste de ce qui est autour de moi : un beau cirque de falaises, ce ruisseau, une herbe confortable, et les étoiles. Ces 20km avec 2200m de D+ et D- dont la via ferrata ont été une sacrée journée. Je suis content d'être arrivé ici, d'avoir pris ces décisions, et d'être là allongé dans l'herbe au chaud dans ma doudoune à regarder les étoiles filantes. Comme visiblement personne ne bivouaque dans les Dolomites, que l'extérieur des refuges est éclairé la nuit, et qu'il faut attendre en fixant le ciel pour les voir, je me demande s'il est possible que je sois le seul à ce moment-là à observer les étoiles filantes dans les Dolomites. Comme elles ne s'achètent pas, on a peut-être oublié qu'elles existent.

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Après avoir longé l'autoroute pour quitter Bolzano, je marche une journée pour rejoindre les Dolomites.

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Des tranchées de la première guerre mondiale.

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Réveil de bonne heure dans ma grotte.

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J'arrive au parking des Tre Cime qui accueille des milliers de touristes par jour, l'apogée du tourisme de masse international dans les Dolomites.

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Un hôtel-restaurant sur un sommet à 3000m où on accède par téléphérique, n'est-ce pas un brin mégalo ?

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Après une longue journée dans ces Dolomites que je veux fuir, je me retrouve seul dans cette via ferrata en fin de journée, où là je passe un super moment.

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Hors ligne

#40 29-10-2023 09:38:54

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Les Alpes : Vallone Popera - Monte Forno

12/09/2023 > 23/09/2023

163 km ; D+ 8,8 km ; D- 9,6 km

De mon dermier spot de bivouac dans les Dolomites, je descends dans une vallée vers l'Est et laisse enfin derrière moi le microcosme des Dolomites. J'arrive dans la Vénétie avant de passer rapidement en Frioul-Vénétie Julienne. La proximité de l'Autriche se fait toujours sentir par l'architecture des bâtiments agricoles. Comme ça fait du bien de retrouver une vraie region, avec ses montagnes et sa nature bien sûr, et ses habitants, ses chemins, ses villages. La population locale qui vit ici et la population tourisitque des Dolomites n'ont aucune chance de se côtoyer. En descendant dans la vallée ce matin-là, j'ai pris l'avion pour me téléporter d'un monde à un autre, même s'ils sont mitoyens géographiquement. Je suis vraiment heureux de retrouver de simples pistes forestières roulantes où je me laisse captiver par de nouvelles fleurs en bord de chemin. En arrivant dans cette vallée je n'ai encore aucun plan pour le lendemain mais je compte en trouver un, car ce sera le jour de mes 30 ans ! Alors arrivé au premier café, je m'installe et plonge dans la carte pour élaborer un plan. Je voudrais passer une journée off dans une cabane ou un hébergement, mais tous les hôtels sont encore bien trop chers et il n'y a pas de cabane suffisament proche. Je tourne en rond et trouve finalement une chambre dans une auberge a vingt kilometres d'ici. Ce n'est pas sur mon itineraire mais ça peut le devenir, et bien que ça me fasse enchaîner deux bonnes journées de marche, je suis en forme. Banco ! J'achète des victuailles sur le chemin et arrive à la tombée de la nuit au petit village de Costalta. Je m'installe dans cette auberge où se passe la vie du village, et de deux nuits prévues j'en passerai trois car une dame adorable de l'établissement m'offre cette nuit supplémentaire en apprenant mon périple. Ainsi je suis parvenu a mon simple objectif d'avoir un lieu confortable où passer cette journée paisible.  Je lave mon materiel, me repose, et passe quelques longs coups de fil avec mes proches tout en regardant la pluie tomber. J'ai modestement marqué le coup sans ambition pour cette journée qui était aussi un jour comme les autres, c'est très bien comme ça.

En repartant j'entre dans des paysages très différents. Je traverse d'immenses forêts de conifères trouées par des clairières dans lesquelles de petits villages semblent vivre autour de l'exploitation du bois. Aux alentours se dressent des montagnes calcaires, c'est le début des Alpes juliennes qui s'étendent entre l'Italie et la Slovénie. J'entre ensuite dans ce massif en grimpant sur la frontière Italie-Autriche. Depuis que j'ai tracé un itinéraire global de cette traversée d'Eurpe, je suis curieux de cette longue chaîne de montagnes rectiligne d'une centaine de kilometres entre les deux pays, sur laquelle on peut marcher en restant dans une bonne fourchette d'altitude. Ces montagnes sont verdoyantes et très calcaires, je sais pas si on peut déjà parler de karstiques. Je marche en alternance sur les deux versants de la frontière, et parfois le pied gauche en Autriche et le pied droit en Italie. Dans cette region le pendant des bivaccos ou des malgas est la casera : une étable avec ou sans animaux, avec à côté ce qui était autrefois une habitation et maintenant est occupée par un berger, aménagée pour les marcheurs, ou abandonnée. J'enchaine quelques nuits dans ces caseras toujours bienvenues sur l'itinéraire. Un jour de brouillard complet et alors que je ne pensais croiser personne, je rencontre un cow-boy - c'est ainsi qu'il se présente - dont le job est de faire le tour de caseras pour vérifier si les vaches laissées en autonomie vont bien. Il est arrêté sur le chemin et me fait signe de regarder plus haut : trois faons sont là à une vingtaine de mètres. Bien qu'ils nous voient ils ne fuient pas, car le vent venant vers nous ils ne nous sentent pas m'explique le cow-boy. Nous nous regardons un moment dans ce brouillard épais et silencieux, puis chacun reprend sa route. Le temps se gâte, le vent et la pluie viennent et s'intensifient. À midi je passe par une casera très confortable. Il est tôt mais je m'arrête là pour aujourd'hui. La pluie se transformera progressivement en orage. Pendant l'après-midi je passe plusieurs heures simplement allongé à écouter la discographie de Leonard Cohen que je redecouvre, saupoudré par le bruit de la pluie sur le toit. Je suis bien, cela suffit.

Pendant les jours qui suivent je ne croiserai personne sur les sentiers. Ah si : un marcheur tchèque ultra-light aui enchaine des journées de 50km partiellement en courant, respect. Il me rapelle Paja, cet autre tchèque ultra-light que j'avais rencontré en Espagne quelques jours après mon départ, qui traversait l'Espagne en enchainant des étapes de 40-45km. J'aime cette zone montagneuse et verdoyante, naturelle et habitée, où la proximité des trois pays se fait sentir. Dans quelques jours je serai en effet en Slovénie ! J'écourte la fin de cette section en descendant dans la vallée italienne parallèle pour les dernières dizaines de kilomètres, car une journée de très fortes précipitations est annoncée et je voudrais la passer à l'abri dans une cabane juste avant la frontiere slovène. La deriniere journée pour atteindre cette cabane fût folklorique et diversifiée. Alors que j'ai 38km de marche jusqu'à la cabane, je snooze mon réveil le matin et part à 10h. Il n'y a que 10km de forêt pour rejoindre la vallée mais à trois reprises je perds le chemin qui n'est visiblement plus emprunté et entretenu, et m'obstine à faire du hors-piste parfois casse-gueule dans la forêt. La troisième fois je me retrouve stupidement dans un endroit plus que délicat et je ne suis vraiment pas fier de moi. Le reste du temps le chemin est souvent boueux et je n'avance guère plus vite. J'arrive enfin dans la vallée, sale, poussiereux et écorché. Il est 16h, il fait nuit à 19h, je n'ai avancé que de 10km en 6h, il me reste encore 28km à marcher, et j'ai super faim. Mais je me regarde avec auto-dérision et suis content d'être enfin sorti de ce pétrin. Je me sonde voir si je change mes plans mais non, j'ai envie de me réveiller dans cette cabane et de ne pas devoir marcher sous la pluie demain matin. Je me sens bien en fait. Je suis content de me lancer sur ces 20km de piste cyclable plate et peu importe la suite, j'arriverai dans la nuit et me reposerai demain. Ce moment suspendu des journées d'automne est très beau, mélancolique aussi. Lorque je vois les gens du coin rentrer chez eux en cet fin d'après-midi, je peux avoir envie moi aussi de me sentir chez moi avec mes proches. Mais ça passe et je rentre dans un super état méditatif en marchant sur cette piste après mes péripéties. Je suis ému et joyeux de me voir approcher la Slovénie après ces sept mois de marche à travers tant d'univers différents. Comme il est inutile de courrir apres le temps à present, je m'arrête en ville faire des courses généreuses et mager un kebab avant de monter les 800m de D+ jusqu'a cette cabane tant désirée. J'ai sommeil lorsque je monte de nuit dans cette nouvelle forêt par ses pistes forestières enherbées, alors je ne m'arrête pas. J'avance sans trop penser, j'imagine les animaux que j'entends, je regarde les vers luisants et découvrir encore de nouvelles fleurs avec ma lampe frontale. J'arrive à 2h à la cabane. En voyant l'herbe tondue autour et une serrure sur la porte, je crains soudainement qu'elle soit fermée. Ouf, elle est ouverte, et qui plus est confortable.

Je passe trois nuits et deux jours dans cette cabane privée laissée ouverte par les propriétaires pour les marcheurs. Deux jours complets de solitude dans cette cabane et cette forêt. Je passe franchement du bon temps. Le deuxième jour la chasse aux trésor des champignons me prend et j'en cueille une quantité folle sans m'éloigner beaucoup. Lorsque la luminosité baisse toujours un peu par surprise et que je regagne alors la cabane, j'ai un vrai moment de blues cette fois en me voyant seul avec cette cueillette et personne pour la partager, ça a un côté franchement triste. Puis je m'active et la soirée prend le dessus, je passe une super dernière soirée en Italie en ma compagnie. À peine 150m au-dessus de moi se situe le Monte Forno où se rejoignent les frontières des trois pays. De là je passerai en Slovénie et ce sera une nouvelle aventure !

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Balsine de l'Himalaya, dont le fruit implose brusquement pour disperser les graines lorsqu'on le touche.

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Sauge des prés

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Une des nombreuses espèces de gentiane probablement

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Je traverse de grandes forêts en entrant dans les Alpes juliennes.

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Les forestiers sont de grands enfants, ils laissent souvent derrière eux des sculptures ou autres constructions amusantes.

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La récompense d'être parti à 6h ce matin.

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Le long de la frontière Italie-Autriche

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Il arrive que les cabanes soient fermées. C'est frustrant, elle sont là, je les laisse généralement plus propre et avec une plus grande réserve de bois, mais me retrouve à dormir sous le porche. Ici comme le vent fort fait tomber la pluie presque horizontalement, j'ai installé mon tarp tel une voile de bateau pour me protéger de la pluie. Le trou de la capuche permet d'atténuer la force du vent sur la toile. Satisfait de m'adapter en trouvant de nouvelles fonctions à mon matériel. smile

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Miam-miam !

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Voilà ce que j'ai trouvé un matin par hasard dans la forêt.

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Parfois j'ai beaucoup de plaisir à marcher des heures sur du plat et me voir avancer lentement dans le paysage.

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Edit : photos

Dernière modification par *Samuel (29-10-2023 09:39:54)

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#41 29-10-2023 11:51:44

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Voilà deux mois et demi que je suis parti de Grenoble pour traverser les Alpes, et sept mois que je suis parti du détroit de Gibraltar pour traverser l'Europe. Quand j'y pense, ces départs me semblent à la fois loins et proches. Cette traversée de l'arc alpin s'est bien faite physiquement. Nous voilà en automne et je m'apprête à marcher dans une autre grande région d'Europe. Depuis mon départ du Sud de l'Espagne je me suis habitué a être en Espagne, puis en France, puis en Italie, sans néanmoins vivre deux journées identiques. Là je m'apprête à vivre d'autres changements et à enfin découvrir des pays d'Europe qui m'attirent depuis longtemps. C'est un nouveau départ qui s'annonce, un nouveau chapitre.

Depuis que j'ai accepté que je vivrai de toute façon l'automne et l'hiver dehors, et que je verrai certainement revenir les beaux jours avant d'arriver au Bosphore, j'ai moins cette petite voix qui me dit qu'il serait tout de même bien d'avancer sur la carte, en conflit avec cette autre voix qui m'invite à prendre le temps que je veux. Mais j'y pense bien sûr. Pour le moment l'automne est enchanteur. C'est beau, il fait ni trop chaud ni trop froid, et il pleut rarement. Les jours raccourcissent, et j'affronterai prochainement les jours courts, le froid et la pluie régulière. J'y pense et me projète nécessairement, et reviens a l'automne présent. Marcher et vivre dehors au long court est inédit pour moi. Des marges d'adaptations en termes d'équipement et d'itinéraire seront peut-être à explorer, et qui dit plonger dans la nouveauté dit trouver de nouvelles ressources en soi.

Comme j'ai déjà pu l'ecrire, malgré le lot de vécu et de découvertes au cours de ces 7 mois et 4000km, une part de moi se sent toujours dans un environnement que d'une certaine manière je connais et maîtrise. Je peux avoir hâte, et un peu peur, d'aller vers des atmosphères attirantes et inconnues, qui me réservent une bonne part de page blanche sur ce que je vais y vivre et y découvrir dans mon rapport au monde et à moi-même. De la Slovénie a la Turquie, en automne et en hiver, c'est parti ! Avec stress et excitation, avec confiance en moi, je saute dans ce vide. Enfin, j'y marche.

J'avais dessiné un itinéraire dans les Alpes de Grenoble à Postojna en Slovénie. Je l'arrête ici au Monte Forno à la frontière avec la Slovénie. Je partagerai ensuite mon itinaire complet slovène. Voila quelques photos bonus prises au cours de cette traversée alpine.

Itinéraire de Grenoble à la frontière slovène consultable et téléchargeable ici : https://link.locusmap.app/t/v49hn8

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Mon itinéraire de Grenoble à la Slovénie

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#42 29-10-2023 12:04:59

Nayana
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Bonne anniversaire Samuel.

Je n'étais pas là physiquement pour partager tes champignons mais je les ai partagés en te lisant aujourd'hui avec les couleurs d'automne qui s'étalent devant ma fenêtre  rl


Lentement mais surement...

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#43 29-10-2023 12:15:28

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

RL Slovénie : Monte Forno > Idrija (Triglavski narodni park)

24/09/2023 > 01/10/2023

121 km ; D+ 6,8 km ; D- 7,8 km

Depuis la cabane où j'ai séjourné deux jours et trois nuits, je monte au Monte Forno où se rejoignent les frontières de l'Autriche, l'Italie et la Slovénie. Ça y est, je descends en Slovénie, j'entends une nouvelle langue, slave cette fois, j'entre dans un nouveau pays, un peu plus loin, un peu plus dépaysant. Je pénétre rapidement dans le parc du Triglavski qui marque la fin des Alpes juliennes. Ce parc tient son nom du mont Triglav à 2864m, le plus haut sommet du pays représenté sur son drapeau, également le plus haut sommet de l'ex-Yougoslavie. Les montagnes du Triglavski, comme globalement le reste du pays, sont karstiques. Les roches calcaires façonnent le paysage, forment des falaises, des gouffres et des grottes. Ces pierres blanches saillantes sont partout dans les forêts comme dans les hauteurs. L'eau circule dans des réseaux souterrains complexes et invisibles. Il n'y presque aucun ruisseau. Par endroit, l'eau jaillit de la roche de manière épatante et donne naissance à une rivière déjà large et puissante. Je suis allé voir par exemple les sources de la rivière Soča à l'eau bleue turquoise, et de la rivière Savica qui alimente le lac Bohinjsko, toutes deux jaillassant au beau milieu d'une falaise.

En entrant dans le parc du Triglavski, je marche dans des forêts qui me facinent par leur beauté. Je ne sais pas si c'est ma réceptivité à ce moment-là, la période de l'année et l'éclairage de fin d'après-midi, l'ambiance de ces forêts de hêtres sur sol calcaire, un peu de tout ça sans doutes. Les endroits les plus émouvants subjectivement ne sont pas toujours les plus grandioses objevtivement. En sortant des forêts et en gagnant en altitude, les hauteurs du massif ont leur identité particulière avec leurs lacs et toujours cet environnement calcaire. Un jour en fin d'après-midi, j'entends de magnifiques brames dans la forêt qui recouvre le pan de montagne juste en face de moi. Les cerfs semblent nombreux et proches les uns des autres. Le plus proche doit être à une centaine de mètres de moi. Le soleil se couche déjà et j'ai prévu de rejoindre un lac sur un plateau bien plus haut pour me ravitailler en eau et dormir. Mais j'ai du mal à m'arracher à ce moment, je m'arrête tous les cent mètres pour mieux écouter le brame et espérer voir un cerf bramer dans les interstices de la forêt. Je suis partagé entre l'appel naturel de rester, et la nécessité d'avancer. Je monte alors lentement en suivant en continu le coucher du soleil derrière une montagne au loin. Je souhaite vraiment accueillir ce spectacle comme il se doit mais je n'ai plus que 0,75L d'eau et j'ai déjà soif. Et puis mince je peux m'adapter et profiter de cet instant : je ne me laverai pas ce soir et me rassionerai en eau, j'aurai soif demain matin jusqu'à arriver au lac, c'est OK. En pleine montée je trouve une large roche lisse et plate idéale pour dormir à la belle étoile, là ou bivouaquer aurait été sinon délicat. En voyant les nuages filer à toute vitesse au-dessus de moi, je me dis que je ne suis pas si mal ici à l'abri du vent. J'écoute attentivement le brame toute la soirée, je ne m'en lasse pas. Ce rugissement au répertoire varié, un bruit qui pourrait être un mélange entre un grincement et un rot je me dis, beau pourtant, émouvant et fascinant en tout cas. Je m'endors avec ces cerfs qui brament jusqu'au petit matin. Finalement le vent atteint mon spot de bivouac et je passe une mauvaise nuit, mais j'ai vécue cette soirée à écouter les cerfs. J'entendrai le brame du coucher au lever du soleil presque tous les jours qui suivent jusqu'à la fin de la période de reproduction. C'est devenue une habitude dont je ne me lasse pas non-plus.

Après le Triglavski je parcours la campagne slovène en Haute-Carniole, tantôt vallonnée, tantôt montagneuse. Là c'est vraiment la fin des Alpes. La campagne est belle, avec de beux villages, de belles granges, des arbres fruitiers et de beaux potagers partout, tout étant soigneusement entretenu pour que ce soit beau. Je m'arrête une journée dans la ville d'Idrija, qui s'est construite autour de sa mine de mercure. La mine a été en activité du quinzième siècle jusqu'en 1980. Deuxième plus grande mine de mercure au monde après celle d'Amaldén en Espagne, la mine s'est modernisée au fil des époques, s'étendait jusqu'à 400m de profondeur, et a fourni environ un tiers de la production mondiale de mercure. De tout temps le travail dans la mine était très éprouvant et les mineurs mourraient prématurément de leur exposition au mercure. L'extraction du minerai a aussi provoqué une pollution au mercure locale qui s'étend jusqu'à la mer. On m'a dit qu'il est toujours proscrit de manger les poissons de la rivière Idrijca. La pollution est bien plus meurtrière là où plus de la moitié du mercure est utilisé : dans l'orpaillage légal ou illégal par la création d'amalgame mercure-or. Environ 70% de cet or est utilisé en bijouterie. Au-delà des usages domestiques, industriels et médicaux, et au-delà des conditions de travail des mineurs critiquables à toute époque, pour des bijoux, je me dis qu'on pourrait intelligemment se passer d'une grande partie du mercure extrait et de ses conséquences. La mine d'Idrija a été fermée suite à la chute du prix du mercure due à son remplacement par d'autres métaux dans de nombreux usages. La majorité des galeries a été comblée et une partie a été conservée pour le musée de la mine d'Idrija.

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Arrivée dans le Triglavski, entre rivières, forêts de hêtres, et sommets calcaires.

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Dans les hauteurs du Triglavski

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La source de la rivière Savica qui jaillit de la falaise comme par magie.

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Le mont Triglav, toujours visible de loin en quittant le Triglavski vers le Sud.

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Un matin je me réveille au bord du lac Bohinjsko entièrement dans les nuages. Le soleil dissipe progressivement ce brouillard qui se reflète parfaitement sur le lac. Un nouveau spectacle féerique, juste là.

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Lever de soleil depuis l'intérieur d'un bunker.

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Le sac chargé de 3-4 kg de champignons "pieds de moutons" qui aiment les forêts calcaires. Ma mission : trouver quelqu'un avec qui les partager.

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#44 29-10-2023 20:13:04

Nicolas36
Marcheur léger
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Merci pour les photos en Noir et Blanc, ça fait dû bien d'en voir de temps en temps.


Modifications non signalées = Corrections de français

Récits-Listes : Brenne - Ecrins et Queyras - HRP par section

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#45 30-10-2023 12:31:57

lenainrouge
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Tu as fait de très belles photos, et un très beau voyage. Merci de nous les partager.

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#46 30-10-2023 17:22:03

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Merci beaucoup à vous toutes et tous !!

Ci-dessous suite et fin de la Slovénie  smile

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#47 30-10-2023 17:27:04

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Slovénie : Idrija > frontière croate (Carniole-intérieure)

03/10/2023 > 12/10/2023

100 km ; D+ 2,6 km ; D- 2,2 km

Depuis Idrija, je continue ma traversée du pays en direction de Postojna. La campagne devient moins vallonnée. Je marche principalement en forêt sur les pistes des engins forestiers que je croise régulièrement. Quelques heures après avoir quitté Idrija, une demande pour remplir mes bouteilles d'eau se transforme rapidement en invitation inconditionnelle du gîte au couvert en passant par les verres de shnaps, chez Dragan et Miladinka qui m'accueillent à bras ouverts, je leur en suis très reconnaissant. Je me sens aussi chaleureusement accueilli à Postojna par le personnel de l'office de tourisme et de l'auberge de jeunesse, intéressés et enthousiasmés par ma marche. Ça fait plaisir de rentrer en discussion aussi facilement. Je reste quelques jours à Postojna pour attendre la commande d'une nouvelle paire de chaussures, et aussi pour profiter de l'accès à un ordinateur pour planifier la suite de mon itinéraire et prendre le temps de mettre à jour ce récit.

En partant de Postojna je m'arrête deux nuits chez Lenart, un forgeron fabricant de couteaux qui possède une grande grange typique slovène dans sa cours pour accueillir du monde. Lenart a simplement mis un point sur googlemap "Terrain de camping gratuit, sans eau ni électricité, vous pouvez dormir dans la grange, garer vos véhicules et utiliser les barbecues. En voyant ça par surprise je le contacte pour lui demander si je peux faire livrer mes chaussures chez lui, voilà qui me rend bien service et c'est l'occasion de mettre un point sur mon itinéraire.

Durant cette section, je visite plusieurs curiosités connues ou méconnues : le château de Predjama (Predjamski grad) construit à flanc de falaise, la grande zone humine de Planina et le manoir de Haasberg en ruine, le petit gouffre karstique Unška koliševka où se trouve un bunker avec un labyrinthe de galeries à arpenter librement, la rivière Rak qui sort de terre sur trois kilomètres avant de disparaître à nouveau et au-dessus de laquelle existe un pont naturel en calcaire, et enfin le lac de Cerknica. Ce lac est le plus grand lac intermittent d'Europe. Selon la saison et les pluies, le lac se remplit et se vide rapidement, variant entre une superficie de 38 km² pour seulement 5 m de profondeur, jusqu'à être asséché avec seulement quelques marres et cours d'eau. Le lac se remplit par la pluie, et se vide par l'infiltration de l'eau dans le sol karstique. Cette grande surface plane forme un écosystème unique et dynamique, abritant par exemple environ 200 espèces d'oiseaux, tout en étant aussi partiellement utilisé pour l'agriculture. C'est un lieu bien unique. Lors de mon passage, le lac est plutôt asséché. Je le traverse par des pistes parfois encore boueuses entourées par endroits d'immenses graminées bien plus hautes que moi, longeant des cours d'eau où j'entends vivre de nombreux poissons et batraciens, tout en observant des oiseaux qu'il me semble ne jamais avoir vus. C'était une bonne idée de passer par là pour me diriger vers la Croatie.

Peu après le lac de Cerknica, je passe mon dernier bivouac en Slovénie, tout proche de la frontière croate. Sans doutes mon dernier bivouac à la belle étoile aussi, la météo ne le permet plus. Voilà déjà la fin de ce passage en Slovénie où j'ai tout de même pris mon temps. Je vais maintenant continuer de marcher vers le Sud, à travers un nouveau pays de L'ex-Yougoslavie.

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Le Predjamskigrad

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Je me suis fait un copain !

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Dans le lac de Cerknica, presque asséché lors de mon passage.

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Les coprins chevelus sortent de terre partout au bord des pistes forestières.

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Dernier bivouac en Slovénie.

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#48 31-10-2023 12:13:33

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

De la Slovénie à Sarajevo

Du Monte Forno à la frontière croate de Čabar, j'ai traversé la Slovénie du Nord-Ouest au Sud sur 235 km et 10 km de dénivelé. En comparaison à L'Espagne, la France et l'Italie, c'est une traversée rapide d'un petit pays. C'est pourquoi je me suis souvent arrêté et ai fait quelques détours, pour prendre le temps d'être Slovénie. J'ai beaucoup aimé apercevoir ce pays qui m'était aussi attrayant qu'inconnu. De ce que j'ai vu et vécu en trois semaines, j'ai trouvé le pays apaisant, vivant et chaleureux. La Slovénie, c'est beau partout. De mon expérience j'ai trouvé le contact avec les slovènes généralement facile et spontané, avec toute génération. L'anglais est largement parlé surtout chez les jeunes, ce qui m'a facilité les rencontres et les discussions. Je n'ai pas eu l'ambition d'apprendre beaucoup plus que les mots et phrases basiques en slovène... J'ai trouvé en général les slovènes fiers de leur pays, facilement accessibles et ouverts sur les pays voisins. Ça fait plaisir aussi de voir des gens qui voyagent dans leur propre pays et le connaissent bien.

J'ai quitté les Alpes juliennes et le grand arc alpin, et je franchis à présent une section davantage en plaine dans le Sud de la Slovénie puis le Nord de la Croatie. J'entamerai ensuite la traversée des Alpes dinariques, ce long massif montagneux qui borde la mer Adriatique de la Slovénie à l'Albanie. Un itinéraire existe pour traverser ce massif : la Via Dinarica. Il y a le 'white trail' qui passe par les montagnes et les sommets, le 'green trail' qui passe plus à l'intérieur des terres, et le 'blue trail' qui longe l'Adriatique. Je ne suivrai pas exactement la Via Dinarica mais mon itinéraire coïncidence naturellement souvent avec le white trail. De Postojna en Slovénie, j'ai tracé un itinéraire prévisionnel jusqu'à Sarajevo en Bosnie-Herzégovine, en traversant la Croatie. Ce sera la première fois que je ferai un détour pour aller dans une grande ville. De Sarajevo, je continuerai de marcher en Bosnie-Herzégovine avant d'aller au Monténégro et en Albanie. Je planifierai un nouvel itinéraire previsionnel d'ici là, selon mes inspirations et la rigueur de l'hiver. Pour l'heure, place à la Croatie.

Si vous êtes intéressé•es plus en détail par la cartographie et la géographie de ces régions, voici les itinéraires en question.

Mon itinéraire complet en Slovénie : https://link.locusmap.app/t/tk5foy
L'itinéraire de la Via Dinarica (white trail) : https://link.locusmap.app/t/u2gdmx
Mon itinéraire previsionnel de Postojna à Sarajevo : https://link.locusmap.app/t/tftjpm

En prime quelques photos supplémentaires de la Slovénie.

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#49 18-11-2023 12:12:31

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Croatie : frontière slovène > Karlobag (Velebit)

13/10/2023 > 23/10/2023
197 km ; D+ 6,8 km ; D- 7,7 km

Je franchis la frontière le matin, marche principalement au bord de la route, et, pour cette première journée en Croatie, reçois un contact humain enthousiasmant. On m'invite à deux reprises à boire un café. À la tombée de la nuit, je demande de l'eau à un monsieur qui s'avère être franco-croate et qui m'invite chez lui pour la soirée et la nuit. Nous discutons toute la soirée, allons boire quelques coups au bar du coin, une bonne immersion dans la vie locale. Grâce à l'histoire de Svonko et tout ce qu'il me raconte de général comme d'anecdotique sur la région et le pays, j'apprends beaucoup sur l'Histoire de la Croatie comme sur l'histoire d'une personne, d'une famille qui a fuit les conséquences de la guerre, sur le pays comme sur la vie locale avec la Slovénie mitoyenne. Une chance et un échos au-delà de ce que je lis sur les pays que je traverse ainsi que sur les guerres d'ex-Yougoslavie et la situation géopolitique actuelle dans cette partie de l'Europe. Si vous êtes intéressé•es, je trouve passionant et très bien présentée cette émission en trois épisodes de "Rendez-vous avec X" (en français) sur l'histoire et les dessous de ces guerres encore si récentes : https://www.radiofrance.fr/franceinter/ … 23-8867171

Svonko me parle de l'ours, très présent dans la région. C'est un éternel sujet de discussion, on m'en reparlera souvent par la suite. Il n'est pas rare d'en voir. Espéré et redouté, car n'attaquant pas normalement mais dangereux si jamais il le décide... Plus rare, on peut aussi avoir la chance (ou la patience et le savoir-faire) de voir le loup et le lynx.

Deuxième jour en Croatie, deuxième rencontre avec des français. Après avoir marché quelques heures de nuit et alors que je m'apprêtais à dormir sous un porche avant de marcher sous la pluie le lendemain, je croise un mini-camping particulier avec une salle commune éclairée et deux personnes à l'intérieur. Je change mes plans et rencontre Lisa et Fred, en voyage en Croatie. Nous passerons deux soirées ensemble et une pure journée de dimanche pluvieux, au chaud entre resto et repos en regardant la pluie tomber dehors. Comme souvent la contingence ne tient pas à grand chose, je suis content d'avoir changé mes plans en voyant cette petite pièce éclairée.

J'entre ensuite dans le fameux massif du Velebit qui, de Delnice à Knin, borde un croissant de la côte Adriatique face aux îles et aux archipelles. Voilà une région qui m'attire depuis longtemps en rêvant sur la carte : une chaîne continue de montagnes à 1000-1500m d'altitude au-dessus de la mer, que des sentiers permettent de parcourir par ses sommets sur toute sa longueur. Je rentre à nouveau dans des forêts de hêtres sur sol calcaire et karstique. Chaque forêt est si unique. Il est dur de l'exprimer avec des mots, a quel point chaque forêt est complexe est unique. Les arbres, leur essence, leur taille, leur espacement, l'absence ou la présence d'une végétation au sol, qui contraint à rester sur les sentiers ou au contraire qui permet allègrement de vagabonder entre les arbres, le relief du sol, l'épaisseur de l'humus de feuilles ou d'aiguilles, la saison bien sûr, le moment de la journée, l'ambiance, la météo... Chaque coin de forêt est unique. Là je découvre des forêts impressionnantes et même intimidantes par leur substrat calcaire qui forme ici et là des pierres saillantes de toute forme, des falaises, de petites pierres cachées sous les feuilles mortes qui rendent par moment la marche délicate, et des gouffres à la forme de cratères de quelques mètres à plusieurs centaines de mètres de diamètre. Les hêtres sont beaux, parfois bien espacés et majestueux, parfois plus touffus, ou chétifs et courbés par le vent sur les sommets. Sur les chemins je vois régulièrement des crottes et des empruntes d'ours. Ils sont bien là, je suis chez eux, ce qui même sans les voir nourrit un imaginaire. Je les imagine, je suis attentif et m'attends à les rencontrer à tout moment. Dorénavant lorsque j'entends un animal, j'ai le suspens de découvrir s'il s'agit d'un ours, avant de voir qu'il s'agit d'une biche ou d'un cerf. J'ai un mélange d'espoir et d'appréhension à l'idée d'en rencontrer. En journée, j'ai plus envie que peur de les voir, mais si possible sans trop se surprendre mutuellement. Alors dans les virages sans visibilité, je chante. Chanter fait partie des activités que j'aimerais approfondir, seul dans la nature ou sur les routes. Voilà l'occasion de m'y mettre ! En pleine nuit en revanche, je reconnais préferer ne pas les croiser, et je redécouvre alors cette sensation oubliée d'avoir un peu peur la nuit. Durant cette section, je finis presque chaque étape par une, deux, trois voire quatre heures de marche de nuit pour atteindre une cabane ou un point d'eau. Un soir notamment, je marche trois heures de nuit en pleine forêt et dans le brouillard. Ma lampe frontale, allumée au minimum pour économiser la batterie, me permet de répérer les animaux par le reflet de leur yeux. Lorsque j'en croise, je les éclaire alors au maximum pour déceler leur identité, et ce sont toujours des biches ou des renards, ici incroyablement nombreux.

C'est avec émotion que j'ai ma première vue sur la mer Adriatique, à un moment où je ne m'y attendais pas d'ailleurs. La dernière fois que j'ai vu la mer, c'était à Tarifa le jour de mon départ. Entre les deux, environ 4000 km marchés et du chemin parcouru à tout point de vue. Cette belle mer Adriatique, je l'admire quotidiennement pendant cette traversée du Velebit. Je marche accompagné d'incroyables couchers de soleils. Je découvre progressivement les grandes îles de Krk, Rab, Cres, Pag, dont je fais la connexion entre la carte et mon champ de vision. Quelle région surprenante et variée !

Le Velebit regorge de nombreuses cabanes libres d'accès, si bien qu'il est facile de dormir dans l'une d'entre elles presque chaque nuit. Ainsi jusqu'à présent, je n'ai pas eu à dormir sous mon tarp et prendre les précautions vis-à-vis des ours. Mais surtout, ces cabanes me permettent de m'abriter de la météo de plus en plus rude et de m'y arrêter lors des jours de tempêtes. Un jour en me dirigeant vers l'une d'entre elles, je découvre la bura, un vent redoutable et redouté dont j'ai eu échos par des lectures. Effectivement ça rigole pas, m'y confronter m'intimide et me motive. Beaucoup d'arbres sont d'ailleurs couchés dans les forêts, visiblement depuis peu. En discutant le soir-même avec des croates dans la cabane, j'apprends qu'il ne s'agit en réalité pas de la bura mais du jugo, un vent du sud. La bura vient du nord, c'est un vent plus froid et plus fort... Ces cabanes sont aussi équipées d'un poêle qui me rend bien service. Je ne trouve pas d'alcool à brûler pour mon réchaud en Croatie, je m'en sors bien en pouvant boire et manger chaud grâce à ces poêles. Lors des jours de pause, je prépare un bon stock de bois en arrivant pour faire ensuite chauffer suffisamment d'eau pour me laver et faire ma lessive. Ce sont des tâches ménagères agréables. Il est bon de m'approprier un espace chaleureux et confortable pour une journée, d'en être le locataire. J'y passe des journées riches et simples, le temps à la portée de ma liberté et de ma solitude, dans un abri plus agréable et stimulant qu'une chambre d'hôtel.

Une particularité et une difficulté du Velebit, c'est qu'il n'y a presque pas d'eau. Pas une rivière, rarement une source. Habituellement on croise toujours des rivières en forêt et en montagne. Même lorsqu'il n'y en a pas d'après la carte, on finit bien par croiser un petit cours d'eau. Là il est possible de marcher plusieurs jours sans croiser une goutte d'eau, tout se passe sous nos pieds. Alors heureusement, les cabanes sont souvent équipées d'un récupérateur d'eau ou d'un puit. Je fais généralement le plein une fois dans la journée, me rationne en marchant et me réhydrate le soir. C'est gérable, en revanche je me dis que cela doit être compliqué en été. Un jour en fin d'après-midi, je passe par un hammeau ou je compte demander de l'eau, c'est ma seule occasion de la journée d'en trouver, il n'y en aura pas à la cabane du soir. Toutes les maisons sont fermées, pas de puit ni de fontaine, et puis enfin, un bâtiment allumé. Une personne à l'attitude très méfiante rechigne à remplir mes bouteilles d'eau. Alors que la porte du bâtiment était ouverte à mon arrivée, il la ferme lorsque je repars et j'entends la serrure se fermer. Le lendemain soir, un peu le même scénario. Je demande de l'eau à la seule maison allumée d'un hammeau. La personne plus que méfiante attrape mes bouteilles du bout des doigts comme pour ne pas se salir, et rentre dans sa maison en me faisant bien signe de rester dehors. Je n'ai pas eu le temps d'attraper ma bouteille souple de 2L, alors à son retour je lui demande s'il peut la remplir aussi, et tout en communiquant avec de gestes, il refuse et me fait signe avec la main de partir. Je suis sans voix. Juste remplir une bouteille d'eau ? Pas moyen, son air est aussi méfiant qu'agressif. La porte entre-ouverte, il attend de me voit partir pour fermer la porte grande ouverte à mon arrivée, et j'entends le grincement du loquet qui se ferme. Sérieux, j'hallucine. C'est n'importe quoi. J'ai en mémoire le récit de Marie et Nil (https://furtherstories.com/fr/deux-pas-vers-lautre/) qui ont aussi traversé l'Europe à pieds, et qui ont eu un contact difficile en Croatie, avec souvent des gens qui les prennaient pour des migrants et allaient jusqu'à appeler la police. Je pense, sans pouvoir en être sûr, que c'était le cas. Ce qui me choque, ce n'est pas d'être pris pour un migrant, ce n'est pas une insulte. C'est que si c'est le cas, cet homme a fait preuve d'une stupidité et d'une violence incroyable en refusant de simplement me donner de l'eau et en ayant peur de moi jusqu'à se barricader chez lui. Je n'ai pas idée de ce que vivent les migrants et ce que je vis n'a absolument rien à voir. Mais ce que j'entends et le comportement de cet homme me revoltent et me font imaginer le pire. Cela ne m'atteint pas personnellement mais par indignation et empathie. Car malgré ce désarroi je suis bien en repartant, à marcher complètement seul sur une large route asphaltée sans voitures, dans la nuit et sous la bruine. Parfois sur de ce genre de terrain je m'amuse à marcher en fermant les yeux, essayant de marcher droit sans les ouvrir, jusqu'à ce qu'un bâton se plante dans l'herbe et me signale que j'ai dévié. Je ressens alors avec acuité les mouvements de mon corps. Là j'ai presque la même sensation, il fait nuit noire et je m'oriente grâce au sillon de ciel clair au milieu de la cime des arbres qui bordent la route. Toutefois il me faut encore trouver de l'eau. Je n'ai qu'un litre et je n'ai bu qu'un litre depuis ce matin, ce n'est pas assez. Plus loin dans un hameau aux maisons espacées, un chien plus gros qu'un patou m'aboit dessus et a une attitude très agressive, bien plus que dissuasive. La situation est brusquement tendue, j'essaye de le contourner mais il ne me lâche pas et je le sens prêt à m'attaquer. Après quelques minutes interminables, le propriétaire sort enfin de sa maison et court venir chercher son chien. À ce moment j'hallucine vraiment : il fait nuit, il pleut, il n'y a personne aux alentours, le chien - qui est plus une machine de guerre qu'un animal de compagnie - est à deux mètres de moi, et son propriétaire vient le prendre par le collier et fait demi-tour sans me saluer, sans me demander si ça va, sans s'excuser, et surtout sans même me regarder dans les yeux ! Comme si je n'existais pas, comme si je n'étais pas un humain. Je ressens une telle violence qui ne m'est pas destinée personnellement bien sûr, mais envers quelqu'un qui serait là dehors dans la détresse et le besoin. J'entre-aperçois une réalité inhumaine. Je reconnais aussi que du fait d'avoir eu peur de me faire agresser par le molosse, il m'est là plus difficile de ne pas le prendre personnellement. Cinquante mètres plus loin, c'est reparti : un autre chien vient me menacer. Celui-là est moins effrayant mais m'oblige à marcher à reculons pour ne pas lui tourner le dos, et la propriétaire met du temps à venir le chercher. Lorsqu'elle arrive enfin, elle m'éclaire avec sa lampe torche, je lui un adresse un "dobra večer" avec un salut de la main. Aucune réaction de sa part, elle retourne chez elle. Étant témoin de ces comportements et étant presque sûr qu'ils m'ont pris pour un migrant, des pensées de colère et de dégoût m'envahissent et me poursuivent, associées à des réalités politiques et humaines insupportables.

Ce soir-là je finis par remplir mes stocks d'eau à une gouttière qui fuit, pas très motivé à aller toquer à une nouvelle porte. Je m'endors plus loin dans la brume sous un abri à deux murs et un toit. Je me réveille le lendemain au dessus de la côte avec un magnifique lever de soleil qui éclaire l'île de Krk. Ce jour-là avant d'arriver à la ville de Krasno, à un moment où je ne m'y attends pas du tout, la rencontre a lieu. J'entends du bruit sur ma gauche, je tourne la tête, et oui c'est bien eux : trois jeunes ours à vingt mètres de moi. Le moment est tellement soudain, intense et rapide. Ils me voient, un court instant suspendu, puis ils s'enfuient. Je suis traversé par le réflexe de les observer au maximum et celui d'analyser si danger il y a. Ils ont eu peur de moi, leur mère n'est pas là, fin de la scène. Ouahou, des ours ! Mon cerveau a du relargué une dose d'adrénaline. En repartant, je sens mes sens aiguisés et ai des frissons dans le corps, heureux d'avoir eu cette chance. Environ une demi heure plus tard et sur la même route, je m'arrête : un grand ours est au milieu de la route à une centaine de mètres devant moi. Nous nous regardons longuement, puis il retourne tranquillement dans la forêt. Ni lui ni moi n'avons eu peur. Je reprends immédiatement la marche, cherchant à travers les arbres si je peux le revoir. Voilà qui a eu lieu comme si c'était habituel, j'ai croisé un ours comme on croise un chevreuil.

Vers le milieu du Velebit, je descends sur la côte pour me ravitailler ainsi que recevoir un colis envoyé de France, pour remplacer quelques éléments de mon matériel perdus ou cassés par inattention. Une fois sorti des forêts d'altitude, je rentre rapidement dans un environnement sec et aride. Le sol constitué d'un amas de pierres calcaires nues, est couvert par une végétation chétive et hostile d'arbustes épineux. J'emprunte d'anciens chemins où il est pénible de progresser au sein de cet écosystème minéral et végétal. C'est une libération de retrouver une piste où je peux avancer avec aisance sur cette ligne de confort qui perce le maquis. Je retrouve des criquets, des sauterelles, des serpents, ainsi que des plantes grasses et des figuiers. Entre les hauteurs du Velebit et la mer, ce pan oblique montagneux suit également la côte Adriatique sur quelques centaines de kilomètres. Il est inconcevable mais réel de passer instantanément de ces grandes forêts humides à ce maquis qui me rappelle soudainement l'Espagne. Je longe l'axe routier parallèle à la côte sous un soleil tapant que je ne pensais pas revoir avant l'année prochaine, puis arrive à Karlobag. C'est une petite ville qui vit visiblement du tourisme en été, où peu de gens semblent résider à l'année. Je marche au bord de l'eau, me fait absorber par le bruit des vagues et des mouettes, des sensations mises de côté comme si je les avais oubliées, qui resurgissent de façon savoureuse. Je passe la soirée au bord d'une plage à l'extérieur de la ville et dors sous le toit d'une guinguette. Comme souvent, j'ai autant la sensation que je viens juste d'arriver en Croatie, et que j'y ai déjà parcouru du chemin.

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Free passage. La Croatie a rejoint l'espace Schengen et la zone euro ce premier janvier 2023.

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En Slovénie comme en Croatie, on expose ses courges devant sa maison.

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La rivière Kupa à sa source, turquoise et déjà large.

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Le Velebit regorge de magnifiques forêts de hêtres.

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Émotion devant ma première vue sur l'Adriatique. La dernière fois que je voyais la mer, c'était à mon départ de Tarifa il y a 8 mois et 4000 km.

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J'ai un choisi un équipement polyvalent pour m'adapter aux différentes conditions pluvieuses. Mon poncho-tarp est pratique pour une pluie de faible intensité en l'absence de vent fort et de végétation abrasive, car plus respirant que ma veste imperméable que j'utilise sinon. S'il pleut longtemps et/ou fort, je mets la veste et le poncho pour rester au sec. La casquette permet de ne pas me prendre la pluie dans les yeux. Le tout avec ou sans mon sur-pantalon imperméable accessible sans avoir à enlever mon sac-à-dos, soit beaucoup de combinaisons possibles.

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Marcher en continu sur de longues distances, c'est aussi croiser régulièrement ce genre d'endroits.

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Face aux îles de Rab et Pag, et tant d'autres.

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Je passe les journées de plus mauvaise météo dans des cabanes, occupé à faire chauffer le poêle pour la cuisine, la douche, la lessive et la chaleur, puis m'étirer, lire, écrire... toujours un plaisir.

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J'assiste le soir à de magnifiques couchers de soleil sur l'Adriatique depuis les hauteurs du Velebit.

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Coucher de soleil sur l'Adriatique depuis la côte à Karlobag.

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Dernière modification par *Samuel (25-11-2023 18:27:24)

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#50 18-11-2023 12:30:16

Magne2
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Je te suis depuis quelques temps ,toujours intéressant,mais tu gagnerai en confort de lecture a mettre les photos dans le texte et non après


kalo taxidi alias bon voyage en Grec bien sur

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