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#176 28-04-2024 13:09:23

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

foxof a écrit :

Si jamais tu passes par le Péloponnèse, j'y suis passé l'année passée (en nord sud), donc n'hésite pas si tu as des questions wink

Je n'y passerai pas, mais ça faisait partie des options sérieusesement envisagées. Je suis curieux, comment as-tu trouvé cette region ?

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#177 28-04-2024 14:40:39

Magne2
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Voir la page 1 de mon profil
La Laconie est une très belle région
Le Magne en fait partie

https://www.randonner-leger.org/forum/v … p?id=27662

Dernière modification par Magne2 (28-04-2024 14:50:10)


kalo taxidi alias bon voyage en Grec bien sur

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#178 28-04-2024 20:46:36

sjeanmarc
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

*Samuel a écrit :

#702543

foxof a écrit :

Si jamais tu passes par le Péloponnèse, j'y suis passé l'année passée (en nord sud), donc n'hésite pas si tu as des questions wink

Je n'y passerai pas, mais ça faisait partie des options sérieusesement envisagées. Je suis curieux, comment as-tu trouvé cette region ?

Avec les montagnes de la Grèce Centrale, tu devrais déjà trouver ton bonheur. Un de mes plus beaux souvenirs de marche (voire le plus beau...). Après, il ne te restera plus qu'à remonter les Apennins, autre massif sauvage et peu connu...

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#179 Hier 23:00:18

*Samuel
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Grèce : Thessalonique > Foteina (Macedoine centrale)

04/05/2024 > 12/05/2024
165 km ; D+ 4600 m ; D- 4300 m

Depuis Ayvalık en Turquie, j'ai pris un ferry pour traverser la mer Égée jusqu'à Thessalonique, deuxième plus grande ville de Grèce. C'est la première fois depuis mon départ il y a 14 mois que je prends un mode de transport, que je me déplace autrement qu'avec mon corps pour avancer dans l'espace et sur la carte. Pour mon lent retour vers la France, je suis dorénavant flexible. Je quitte la Turquie après deux mois dans ce pays. Comme lors des précédents passages de frontière, et plus encore cette fois-ci, c'est une sensation étrange de réaliser que je laisse derrière moi ce pays auquel je me suis habitué et où je me sens bien, que ce qui est devenu un environnement humain et culturel quotidien n'est soudainement plus accessible, peut-être pour toujours, à moins que je ne revienne lors d'une future aventure, à vélo.

Je profite du trajet en ferry pour apprendre les prononciations de l'alphabet grec et m'entraîner en lisant le nom des lieux sur la carte. Il est amusant de remarquer les caractères communs avec l'alphabet latin et l'alphabet cyrillique. De même que pour le slovène, le serbo-croate (parlé en Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro et Serbie) et le turc qui utilisent l'alphabet latin avec chacun des caractères spécifiques, ou que pour le serbe et le bulgare qui utilisent l'alphabet cyrillique, globalement un caractère équivaut à un son, et vice-versa. Comparé au français, cela est nettement plus facile, et j'ai envie de dire logique. Du moins c'est ce que je crois dans un premier temps, je découvrirai plus tard qu'il y a des subtilités d'association de plusieurs caractères pour former d'autres sons. Arrivé en Grèce et au fur et à mesure que je marche dans le pays, comme c'était aussi le cas en Serbie et en Bulgarie, je lis tout ce qui traverse mon champ de vision comme un enfant qui apprend à lire, au début en déchiffrant lentement, puis de plus en plus vite. Cela me donne l'impression d'avoir le pouvoir de décoder des messages secrets. Apprendre un précieux vocabulaire de base prend plus de temps, et nécessite un aller-retour entre l'apprentissage sur mon téléphone et le dialogue avec les gens. Mon cerveau a du mal à se déconnecter du turc. Il est troublant de soudain retomber au niveau zéro de la communication verbale, et je me rends compte une fois de plus comme mes rudiments de turc m'étaient utiles. Anecdote : en Bulgarie, les hochements de tête pour dire oui et non sont "inversés" par rapport à la grande majorité du monde, c'était parfois déstabilisant, et je me suis rendu compte à quel point nous hochons la tête sans cesse. Nouvel élément source de confusion en Grèce : "oui" se dit "né", qui signifie "non" en slovène, serbo-croate et bulgare... Par rapport à chaque pays que j'ai traversé jusqu'à présent, je sens que j'ai un peu moins d'énergie à donner dans l'apprentissage de la langue, l'intérêt pour l'histoire moderne du pays et la situation politique actuelle, mais j'en ai tout de même.

Le hasard a fait que mon ami Victor est en vacances en Grèce au même moment. Il vient donc me rejoindre à Thessalonique et nous passons trois jours ensemble. J'ai ainsi la chance de l'avoir croisé à deux reprises au cours de ma marche à travers l'Europe, à Grenoble et à Thessalonique.

Étant resté plusieurs jours à Ayvalık puis à Thessalonique, en ville, j'ai du mal à réaliser que j'ai changé de pays et suis toujours dans une marche itinérante. L'énergie de ce mode de vie est à nouveau retombée et je me sens dans un entre-deux ou même un "nulle part" inconfortable. Même si cela demande toujours un effort, il n'y a qu'une solution : ne pas m'éterniser en ville et repartir marcher. Un peu de la même manière que lorsque je suis reparti d'Istanbul après un long arrêt, les premiers jours sont difficiles et malgré l'expérience, j'ai des doutes sur le fait que la motivation et le plaisir reviendront. Je dois d'abord marcher 75 km entièrement plats sur des routes et des pistes agricoles. Il fait chaud, avec un ciel sans nuages et un soleil tapant, et il n'y a nulle ombre où me reposer. Je traverse dans un premier temps une petite jolie zone marécageuse, sanctuaire de biodiversité ornithologique, puis des rizières à perte de vue autour du delta Axiós. La marche est pendant ces premiers jours seulement un labeur et non un plaisir. De plus, le rythme de la marche itinérante étant retombé, je me sens pour la première fois pressé : je suis pressé de finir la journée, d'arriver dans la prochaine région montagneuse, et même de traverser la Grèce. Si je me sens pressé et pas motivé, mon itinéraire grec prévisionnel peut alors apparaître angoissant par sa longueur en temps et en distance, alors que maintenant j'ai l'habitude de ces projections. Bref, je n'ai qu'à espérer que ce rythme intérieur revienne avec le temps et les kilomètres, et avec l'aide d'un environnement plus stimulant. En attendant, plaisir ou non, je n'ai qu'à marcher.

Ces jours-ci, je ne suis pas là. Je repense à des moments encore récents entre Bandırma et Ayvalık en Turquie, où j'étais heureux dans le moment présent, et songe à nouveau comme l'instant présent représente une définition juste du bonheur. Là, de toute évidence, je n'y suis pas. Je suis ailleurs, nulle part, à côté, hors de la réalité où se situe mon corps, dans une autre dimension nébuleuse. C'est au présent de me rattraper et de m'extirper de ce nuage borgne, pour me ramener autant que possible vers là où je suis, dans la lenteur et la distance de la marche. Ce présent peut se nommer hasard, chance ou contigence. Pour mon premier jour de marche en Grèce, il me présente les habitant•es de Chálastra (Χαλάστρα), où je m'arrête dans le bon café. Je n'aurais pas pu espérer ou attendre autant aujourd'hui. La famille qui tient la boutique est sincèrement enthousiasmée et intéressée par ma marche. Petit à petit, leur groupe de scouts locaux rapplique. Tout le monde est gentil et curieux, m'offre à boire et à manger, et parle anglais qui plus est. Après quelques heures de discussion, on me propose de dormir dans le local scout dans lequel je m'installe confortablement. Nous sommes le jour de la Pâques orthodoxe. À minuit, on revient me chercher pour aller allumer des bougies sur la place du village où tous les habitants, comme partout ailleurs en Grèce, se rassemblent. J'assiste avec intérêt à ces traditions, et pour un premier soir j'apprends déjà plein de choses sur la Grèce. Une fois de plus, j'accueille naturellement des moments qui resteront forts. Écrire permet de les sublimer, ou plutôt d'en saisir la juste valeur. Après qu'on m'ai posé la question, je me souviens qu'il y a un an j'avais assisté à la Pâques catholique en Espagne, qui y est aussi très célébrée. En termes d'événements religieux et politiques, au cours de ma marche, j'ai aussi eu la chance d'être en Serbie lors des élections législatives contestées et du Noël orthodoxe, ou encore en Turquie lors des élections municipales tant attendues, du ramadan et du bayram.

Je repars le lendemain dans ce désert goudronné sous un soleil intransigeant. Heureusement que quelques oasis de rencontres généreuses ponctuent cette avancée monotone. Un peu à la manière du Noël orthodoxe, trois jours fériés suivent Pâques, et cette fois ce n'est pas l'odeur de cochon à la broche qui embaume la campagne, mais la fumée des barbecues d'agneau. Pendant quatre jours, je ne touche pas à mes vivres car on m'offre à plusieurs reprises des brochettes d'agneau, de la brioche et des œufs durs colorés confectionnés pour Pâques. Comme j'ai du mal à refuser, je porte, et ainsi va mon régime alimentaire.

Trois jours de marche sont nécessaires pour atteindre un peu de relief et de biodiversité que ma tête et mon corps réclament, et parfois un peu d'ombre que je convoite tant. Je quitte la campagne plate pour monter sur des étendues de collines recouvertes d'une forêt à la fois dense et chétive, dont l'hostilité des buissons épineux semble refléter le substrat sec et rocailleux sur laquelle elle s'établit. Je monte à un monastère répéreré sur ma carte qui attise ma curiosité, situé en hauteur en plein dans cette immensité sans autres traces humaines que les pistes forestières sur lesquelles je marche. J'espère pouvoir y dormir sous un porche, un toit, un quelque chose qui ne coûte rien à personne. Mes attentes sont déçues. Ce n'est pas l'espace qui manque et je pourrais aisément ne déranger personne, mais les quelques sœurs qui vivent dans cet imposant monastère remis à neuf et parfaitement entretenu à tel point que je m'interroge sur la provenance de tels moyens, refusent catégoriquement, même pour que je plante mon tarp à côté sur un carré d'herbe. Une fois de plus, on ne comprend pas que je me déplace à pieds malgré mes explications, on me conseille d'aller dans des hôtels avec ma voiture, et je me rends compte d'après leurs suggestions directives, que mes interlocutrices ne connaissent pas l'existence des pistes et chemins dans les collines autour de leur monastère. On peut accueillir ou décliner l'imprévu, même minime, simplement accepter de rendre service lorsque cela ne nous coûte rien, ou préférer ne pas onduler l'ordre du quotidien. Alors au fond, même si ça peut me mettre momentanément dans le désarroi, je ne peux heureusement pas interférer avec la volonté ou l'absence de volonté des gens, et il est certainement préférable de tracer ma route, même dans ces conditions, face à un tel huit-clos.

Je repars ainsi dans cet environnement peu accueillant pour dormir, surtout à cause d'un autre élément que la chaleur et la végétation omniprésentes. Comme ici, il arrive régulièrement que les insectes en quantité innombrable forment un nuage autour de moi, qui devient un essaim lorsque je m'arrête. Les insectes me suivent, se collent à ma peau transpirante, me piquent, rentrent dans mes yeux, mes oreilles et ma bouche, si bien que je dois parfois marcher avec mes lunettes et la bouche fermée, sans m'arrêter. Lorsque le soir la température diminue, ils se font un peu moins nombreux et les moustiques prennent le relais. J'avance ainsi énervé par ces insectes et la question de trouver un endroit où dormir. Plus haut je repère un simple point "Monument" sur ma carte, où il semble y avoir un beau point de vue. Je décide de m'y rendre par un chemin qui s'avère depuis longtemps recouvert par la végétation. J'arrive péniblement à une simple plaque orthodoxe coulée dans du béton, sans vraiment d'espace pour mettre mon tarp. Je suis découragé, n'ai pas envie de dormir ici, mais m'y résigne. Puis, dans ces conditions, se produit pourtant un des plus beaux moments du voyage. Après quelques gouttes de pluie inattendues, un arc-en-ciel majestueux apparaît là, juste à côté de moi, dans le creu des collines verdoyantes que je surplombe. Il forme un trois quarts de cercle dont je vois les deux extrémités ancrées dans la vallée. Il est d'une proximité et d'une intensité inouïes. Un moment de grâce juste là, si beau et intense. L'arc-en-ciel se double ensuite d'un second arc concentrique extérieur, d'une intensité plus faible. Alors que ces phénomènes sont habituellement brefs, cet arc-en-ciel là dure, encore et encore, pendant presque une heure. J'ai le temps de m'émouvoir, de m'assoir le regarder, de le photographier, et d'assister au spectacle de cet arc-en-ciel, qui perdure avec le soleil qui se couche paisiblement derrière la silhouette d'une colline, de l'autre côté du promotoire où je suis, avec le flot de couleurs qui éclairent et subliment la scène. Unis en harmonie, le ciel s'assombrit, la luminosité décline, et l'arc-en-ciel s'éteint en silence. Je me trouve alors bien là où je suis, à ma place, et heureux d'être ici à jouir de ce qui m'entoure. Je retrouve enfin un espace naturel, sauvage, avec sa géologie, son relief, sa végétation, et ses nombreux habitants dont je me fais l'invité. De là où je suis, je vois le monastère en contrebas, je me demande si les sœurs ont vu l'arc-en-ciel. Je ne m'embarasserai pas à planter mon tarp au risque de m'agacer et de l'abîmer, je m'allongerai simplement sur mon matelas qui nivelera les aspérités du sol, sous ma moustiquaire qui m'assurera un sommeil réparateur dans l'activité nocturne des ordes d'insectes. Les étoiles s'allument, j'écoute aboyer mes amis les chevreuils que j'ai retrouvé aujourd'hui, après une période sans les voir. Lorsque je m'allonge dans mon sac de couchage et avant de fermer les yeux, je vois une immense étoile filante traverser le ciel, laissant une traînée de poudre luminescente qui persiste dans le ciel noir. Le clou du spectacle, je suis gâté, cela faisait longtemps aussi. Et depuis longtemps également, je savoure enfin de m'endormir sans un seul bruit de moteur même au loin. C'est un plaisir délicieux et onirique que de sombrer dans le sommeil en écoutant le bruit du vent dans les feuilles, des insectes, de quelques oiseaux et autres animaux.

À partir de là, je me reconnecte davantage avec mon mode de vie d'aujourd'hui, avec le temps et la distance devant moi, et avec la marche. Je sens que j'ai le temps, alors je ne me presse pas et prends le temps de m'arrêter quand bon me semble, quand j'en ai envie, lorsque je suis interpellé par une fleur, un animal, un bruit, un paysage, une pensée. Je n'ai aucun impératif ni objectif de vitesse après tout, alors je peux m'exercer à être au plus prêt de mes envies du moment, libre de choisir à chaque instant, tout en avançant sur mon itinéraire modulable, tout en accueillant et en m'adaptant à l'imprévisible, une rencontre, une invitation, une averse, etc. Dans ces collines et ces forêts, je rencontre des dizaines et même vraisemblablement des centaines de tortues. Quel animal incroyable... Une turque m'avait fait la réflexion que j'étais une tortue. C'est vrai, je suis lent et fais corps avec mon sac-à-dos qui me permet de marcher et de vivre dehors. Je les observe se deplacer, manger, si lentement, et parfois rentrer leur tête et leurs quattre pattes dans leur carapace lorsqu'elles me voient. Dans la rivière d'une forêt, j'observe avec surprise des crabes, moi qui pensais qu'ils vivaient uniquement en milieu marin... Je vois et j'entends, et régulièrement je m'arrête regarder et écouter, de nombreux oiseaux : rossignols, hirondelles, huppes, geais, et tant d'autres dont je reconnais le chant mais ne connais pas le nom, et tant d'autres encore que je découvre ou redécouvre. En dehors des moments difficiles, je m'émerveille de tout.

Comme presque partout depuis 14 mois et 6500 km de marche en Europe, je ne croise personne en dehors des villages. Alors, une fois de plus, je me sens un des rares témoins de la beauté des lieux. J'en profite certes, mais cette pensée m'attriste. Lorsque après une semaine de marche, je vois depuis un point de vue, Thessalonique d'où je suis parti il y a 150 km, à seulement 70 km à vol d'oiseau, je ressens l'incroyable diversité d'univers, de microcosmes, d'écosystèmes dans un si petit espace, et que la marche est un mode de déplacement privilégié pour en approcher et s'en rendre compte. Et pourtant, sur le plan écologique comme hummain, je passe aussi à côté de tant de choses.

Dans ces villages, je reçois un souvent un accueil généreux. J'ai pris l'habitude de dormir dans les églises orthodoxes, nombreuses à la fois au centre des villages et en dehors. Alors qu'en Serbie les églises orthodoxes étaient toujours fermées et qu'on m'y a toujours refusé l'accès, même pour dormir sous le porche ou planter mon tarp à côté, jusqu'à présent en Grèce, les églises sont toutes ouvertes et on m'a toujours très naturellement autorisé à dormir à l'intérieur. Des bivouacs de luxe dans des lieux remarquables. J'ai un bon souvenir à l'église du hammeau d'Elafina (Ελαφίνα), où je me suis arrêté après seulement 9 km de marche, appreciant l'endroit boisé avec un grand porche ombragé où se reposer. J'y ai vu au cours de l'après-midi des familles défiler pour venir pique-niquer et allumer des bougies dans l'église, chacune m'offrant une brioche, un café ou un verre de ouzo. La dame du hammeau qui entretient le lieu me donne les clés de l'église et m'indique qu'il y a même un lit à l'étage, le luxe. Le lendemain, je m'arrête chez elle prendre le café et le petit-déjeuner jusqu'en milieu de journée. C'est parfois un peu déroutant mais bon de prendre le temps.

Lorsque je présente mon périple, l'évocation de la Turquie où j'étais encore récemment suscite toujours des réactions allergiques. Pourtant, lorsque je pose la question, rare sont ceux ou celles qui sont allés sur l'autre rive de la petite mer Égée, comme cet homme qui me dit : "Je suis un militaire grec, si je vais là-bas, c'est juste pour les tuer". À chaque pays, le racisme change de cible. L'histoire partiale et le nationalisme semblent ici aussi bien inculqués à travers l'éducation et les médias. Je suis amusé qu'on me demande souvent et rapidement, dans un esprit de compétition, si je préfère la Turquie ou la Grèce et qui sont les plus accueillants. Alors quand je réponds que je suis en Grèce que depuis quelques jours et que jusqu'à présent, la Turquie est le pays ou j'ai reçu la plus grande hospitalité, on prend cela comme un challenge pour les surpasser, ce qui peut jouer à mon avantage. Malgré une langue et une religion différentes, je peux témoigner que de part et d'autre de la mer Égée, les hommes se regroupent dans les cafés pour boire du thé côté turc et des cafés frappés côté grec, fument des cigarettes en faisant tourner leur chapelets entre leurs doigts, jouent au moultezim, partagent des mimiques que je n'ai vues nulle part ailleurs, et mangent des mezzes en buvant du rakı ou du ouzo, dont seul le nom les distingue.

Depuis mon départ de Thessalonique, chaque jour, je vois le mont Olympe se dresser au-dessus de tout, visible de partout, majestueux et imposant. Déjà depuis le ferry dans la baie de Thessalonique, je voyais et convoitais cette montagne au sommet enneigé et souvent caché dans les nuages. Chaque jour je m'en approche petit à petit, et cet horizon est ma prochaine destination et ma motivation. Après les plaines agricoles et les collines recouvertes de forêts, je gagne encore en altitude en m'approchant de ce perpétuel mont Olympe. Je redécouvre des sensations spécifiques à la montagne, et réalise comme j'avais de la chance, en Italie, en Slovénie, en Croatie ou en Bosnie, de pouvoir tant marcher en altitude dans des environnements si beaux et si variés, sur de si longues distances. Après la chaleur et les insectes, le froid et le brouillard s'installent un temps. Je reste deux nuits et une journée dans la véranda fermée d'un refuge qui semble abandonné à 2000m d'altitude, pour laisser passer une journée de pluie et de brouillard constants par 5°C. Mais avant de grimper sur les sommets de l'Olympe dans les 3000m, je dois redescendre jusqu'à 300m d'altitude. Je dors une fois de plus dans une très belle église à l'extérieur du village de Áno Miliá (Άνω Μηλιά). Je sors de l'église au milieu de la nuit pour aller aux toilettes, et entends non loin des bruits de sangliers. Je m'approche, et vois avec ma lampe frontale des dizaines de sangliers, du jeune marcassin au gros adulte, remuer la terre sous les châtaigners à la recherche de châtaignes de l'an passé. Je les observe ainsi quelques minutes, silencieux, impressionné, puis ils me voient ou me sentent et déguerpissent en grognant. Le lendemain, je pensais passer par Fonteina (Φωτεινά) en milieu de journée, me ravitailler et repartir pour une longue étape, mais nous sommes dimanche et l'épicerie est fermée. Même après 14 mois de marche itinérante, je me fais toujours avoir lorsque je compte par hasard me ravitailler un dimanche. Quelque part tant mieux, je suis déjà fatigué par un kilomètre de sentier inexistant que j'ai parcouru accroupi et à quatre pattes sous la végétation, puis par avoir cherché pendant une heure un moyen de franchir un ruisseau dont le pont s'est effondré il y a bien longtemps. Je vais manger au bistrot et repère une petite église à 3 km d'ici au bord d'un ruisseau, l'occasion d'arriver tôt, laver mes vêtements et profiter du lieu.

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Le lagon de Kalochori, peuplé de flamands roses en cette saison, devant Thessalonique au bord de la baie du même nom.

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Les rizières du delta Aksiou, avec leur système d'irrigation.

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Le jour de la Pâques orthodoxe, je suis invité par les habitants de Chálastra qui m'offrent le gîte et le couvert. À minuit tout le monde se rassemble pour allumer des bougies sur la place du village.

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Chaque jour, je vois le mont Olympe se dresser au loin, imposant et majestueux, avec ses sommets encore enneigés. C'est mon cap, ma direction.

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En attendant je dois marcher 75 km sur des routes plates par de fortes chaleurs.

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Après trois jours depuis Thessalonique, j'entre enfin dans des forêts qui offrent de l'ombre et un milieu plus agréable où marcher.

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Un soir depuis les hauteurs des premières collines, un arc-en-ciel en ciel m'offre un moment de grâce. Une heure de spectacle avec le soleil couchant, suivi d'une nuit à la belle étoile, bercé par le bruit du vent, des insectes nocturnes, des oiseaux et des chevreuils.

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Moustiquaire ultra-légère de 90 grammes, rarement utilisée mais très utile lorsque c'est le cas.

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Je dors régulièrement dans les églises orthodoxes. Jusqu'à présent, elles sont toutes ouvertes et on m'a toujours autorisé à y dormir. Chacune unique, elles procurent un lieu confortable et atypique pour bivouaquer.

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Brioche et œuf de Pâques, confectionnés pour la Pâques orthodoxe. Pendant les trois jours que dure la fête religieuse, on m'en offre quotidiennement.

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Après plusieurs jours de marche difficiles, je retrouve le plaisir et le rythme de la marche itinérante. J'ai le temps.

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Je vois des centaines de tortues dans les forêts, les marais, au bord des chemins... Une chose de plus à laquelle je m'habitue sans me lasser.

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Depuis l'église où je dors, vue sur Elatochóri et toujours le mont Olympe. Le relief s'accentue progressivement.

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Après plusieurs jours de marche difficiles, je retrouve le plaisir et le rythme de la marche itinérante. J'ai le temps.

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Toujours lui, qui de cache et se découvre des nuages, près de la baie de Thessalonique.

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De nombreux sentiers n'existent plus ou sont recouverts par la végétation. Il m'arrive d'avancer à moins d'1 km/h, parfois accroupi ou à quatre pattes sous les arbustes abrasifs, ou cherchant un passage pour traverser une rivière au courant trop fort.

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Encore un bivouac dans une église répérerée sur ma carte, au bord d'une rivière en pleine forêt.

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#180 Hier 23:27:26

ludof
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Re : De Tarifa à Istanbul, une marche à travers l'Europe

Je me suis une nouvelle fois régalé à la lecture de ton récit, merci de nous faire partager tout ça !

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